Le Nord se Souvient, et les Stark sont depuis toujours les amis de la Garde qui veille pour l’éternité sur les Remparts protégeant les Royaumes des Hommes. A Fort-Levant, on n’avait plus vu pareille activité depuis des décennies sinon des siècles. D’ordinaire, renforts et équipements affluent depuis le Royaume surtout à Chateaunoir, par la vieille route remontant les landes froides de ces terres au nord du Nord. Mais cette fois, le royaume est lui-même imbriqué dans une chaîne d’évènements l’impliquant toujours plus loin et toujours plus fort, au sud. Alors les chaînes logistiques s’étendent et s’écroulent, se rebâtissent. La place de la voile et des rames augmente dans les équilibres des transports et les ports connaissent un regain d’activité et de développement. Fort-Levant n’y échappe pas. Les galères de la Garde multiplient les patrouilles, et sont les premières à repérer le convoi Stark. Les navires l’escortent, les équipages se saluent bruyamment. Des centaines d’hommes débarquent à quai, alignant les compagnies de lanciers et d’épéistes, les archers qui défilent arme au poing. Un pâle soleil d’automne renvoie l’éclat des casques et des pièces d’armure ; le Nord se Souvient et les alertes de la Garde ont réveillé les craintes de voir un nouveau front d’horreurs et de cauchemars s’ouvrir au Nord. Les élections n’ont pas encore remplacé le Hoare la commandant et partout les patrouilleurs relatent des attaques et des embuscades. Le renfort arrive à point nommé, et déjà les compagnies nordiennes prennent leur part des rondes sur le mur oriental et sur les côtes, empêchant et repoussant par volées de flèches les sauvageons qui tenteraient le débarquement. L’espoir de tenir demeure.

Et pourtant, à l’autre extrémité de l’immense muraille de Glace, les défenseurs se retrouvent transis de froid, et peuvent observer au loin la Flotte de Fer contourner les Gorges avec des dizaines de navires pour répandre leur contenu de milliers de sauvageons sur les terres, ceux sauvés quelques jours auparavant sur les côtes du Nord Véritable. Déjà contournés, peut-être encerclés, les Gardes n’y voient pas encore de clou scellant définitivement leur cercueil. Ils savent en effet que jamais les sauvageons ne viendraient ni tenir le Mur avec eux, ni le leur prendre. L’obstacle est contourné… Et eux, au moins, peuvent maintenant espérer de vivre une vie meilleure. Ils partent au loin, les bateaux repartent, et leur veille continue. Les patrouilles au-delà du Mur rapportent depuis des jours que tout est redevenu calme. Et pourtant on entend parfois les rumeurs lointaines de combats et de cris le long du Mur. Des patrouilles qui disparaissent, ne laissant derrière elle que des traces de sang et de fureur éphémères. La peur tenaille le ventre des guerriers même les plus aguerris, et le vent du Nord charrie les plaintes de ceux qui ont été pris comme prisonniers. Partout devant le Mur, des gibets sont dressés et les prisonniers attachés par des lanières, offerts en sacrifice aux bêtes monstrueuses peuplant ces vieilles forêts. Leurs hurlements déchirants torturent les défenseurs qui surveillent le chemin de ronde, et au petit matin les poteaux et lambeaux de cuir ne recèlent plus ni prisonniers ni tortionnaires, mais des mares de sang gîsent au pied des poteaux. Et le même spectacle s’offre à la Garde de Nuit, jour après jour, nuit après nuit. Densifier les patrouilles n’est bientôt plus possible faute d’effectifs. Ce n’est pas encore le pire, pourtant.


Ils sont venus durant la nuit. Une masse de guerriers dont rien ne reflète la lumière des astres silencieux ; l’acier et le fer ont été passés à la graisse de couleur noire ou marron, masquant aussi leurs traits. Proche de s’en prendre au Mur par le revers, les hommes éliminent discrètement quelques sentinelles et jouent du poignard et de la discrétion pour progresser à l’ombre des tours de Griposte. Ils passent dans les faubourgs des quartiers de la Garde, évitant chaque halo de lumière projeté par un feu ou une lanterne. Ils vont passer à l’action, vont mettre en application leurs funestes desseins mais un subalterne hèle le chef de groupe.


Où sont les défenseurs ?


Le vent se lève, des craquements sourds retentissent dans tout le Mur. Et tous portent vers le haut leur regard, distinguant aux sommets du Mur plongés dans le brouillard des lumières qui s’agitent sur les remparts. Et le cri des guerriers, le tintamarre des combats.


Les hurlements.


Et plus que tout les sonneries d’un cor dont chaque poussée, chaque note, fait vibrer à tous leur diaphragme et leur met le coeur au bord des lèvres. Un grand choc vient pulvériser un chariot sous le poids d’un projectile.


Du chemin de ronde commencent à tomber des corps.