L'aurore d'une nuit noire

L’heure approche à grands pas. Les premiers rayons de soleil émergent d’au-delà de la mer, effleurant et réchauffant la peau blafarde et froide de l’Héritier Wynch. Recouvert d’une fine couverture afin de se protéger des vents marins, il attendait le regard fixé vers l’horizon et cette boule de feu. Un mal de tête lui vrillait le crâne, signe abusif de l’alcool précédemment englouti auprès de ses frères d’armes. Mais il s’en foutait royalement, seule son excitation pour les semaines à venir importait. Une excitation palpable, bloquant toute possibilité de se reposer après des heures de beuveries. Il avait fini sa soirée près de son amante, avant de la laisser dormir seule et de s’exiler sur les côtes afin de se préparer mentalement.

Dagon n’est pas un être solitaire d’ordinaire, il aime les gens, échanger, les charrier, se bagarrer avec eux. Il n’aime d’ordinaire pas la solitude, où il se retrouve confronté à ses pensées, ses sentiments. Mais actuellement, il se laissait volontiers s’enivrer de ces derniers, puisque bientôt, son esprit sera uniquement dirigé vers les batailles à venir, vers ses adversaires, vers la victoire et la nouvelle suprématie de la flotte de fer. L’heure de vérité était à portée de main, Dagon souhaitait plus que tout que ses rêves deviennent réalité.

Il entendit non loin de là, le village avoisinant Holt de Fer s’animait à nouveau. Lorsqu’il passa dans les rues du village, il sentit que l’ambiance n’était clairement plus la même que la veille. Hier, tout le monde fêtait leur départ, aujourd’hui la tension se faisait ressentir mais en même temps, une certaine exaltation à retourner en mer. Telle une atmosphère religieuse où l’on ressent cette supériorité divine autant dans sa bienfaisance que dans son caprice. Dagon en profita pour manger quelque chose lorsqu’on lui proposa, dévorant à satiété en sachant qu’il ne mangerait guère à sa faim en mer. Certains hommes portaient provisions et armes en direction des boutres. Dagon jeta un regard en direction des bateaux fer-nés.

Avant le départ, il souhaitait voir son père, il n’avait pas réellement de raison, outre la situation actuelle. Il savait que son père n’était plus tout jeune, même s’il s’agissait d’un grand guerrier, il ne pouvait cacher son appréhension à son sujet. Il n’en parlerait jamais ouvertement, mais il le ressentait ainsi. Sachant déjà qu’il retrouverait le chef de famille sur son boutre, il ne prit pas la peine de rentrer à Holt de Fer. Délaissant la fine couverture sur la chaise où il se trouvait, il partit vers le petit port.

Dagon salua quelques hommes sur son chemin, taclant certains pour le bon plaisir. Il grimpa sur le boutre, tombant sur la silhouette de son paternel, observant l’horizon. Il s’approcha et s’adossa à la proue. Il jaugea un instant l’humeur de son père puis lança la discussion :

- Heureux de revoir naître la flotte de fer ? Je n’en ai pas dormi de la nuit, l’exaltation m’a tenu éveillé. Pire qu’une putain en rut.

Dit-il en ricanant avant de jeter un regard aux hommes rassemblant les victuailles. Pendant trop longtemps leur flotte a tenu dans le déclin, et Dagon sait au combien cela a pu peser à son paternel, puisque lui-même n’en pensait pas moins.

L'aurore d'une nuit noire

Au sein des îles de fer, les hommes ne paressent pas lorsqu’il est question de fornicage. Qu’il s’agisse d’ébats consentis ou non, de plaisir personnel ou de survie, les fer-nés battent à coup sûr leurs voisins westerosiens. Après tout, les hommes meurent abondamment dans les raids, il ne faut donc point lésiner afin que l’héritage de la flotte de fer ne manque jamais de soldat et de capitaine. Est-ce que Dagon y a-t-il déjà pensé ? Pas vraiment, cela a toujours été pour son plaisir égoïste, mais si l’une des putains finissait par être enceinte, tant mieux, cela ferait une merdaille de plus pour leurs futures armées. Dagon esquissa un sourire amusé à la réponse de son paternel.

- Pour une fois, j’ai quitté la chaleur de ma putain pour la beauté de l’aurore. J’ignore pour combien de temps nous partons, mais je souhaitais graver l’ambiance de nos îles dans mon esprit. A-t-il ajouté en jetant un regard morne vers Holt-de-Fer, il ignore quand il pourra réellement se réconcilier avec cette bâtisse, mais elle le hante toujours autant. J’avais aussi besoin de me préparer mentalement pour la suite, bien que le Dieu-Noyé nous ait bénit, rien ne nous assure de revenir en un seul morceau.

Il avait déjà une vision bien précise des raids, et savait au combien cela pouvait devenir meurtrier pour eux-mêmes autant que pour leurs ennemis. Il était lui-même prêt à donner sa vie si le Dieu-Noyé en décidait ainsi. C’était la voix des fer-nés, le sacrifice pour une belle victoire. Mais quand même, Dagon ferait tout ce qu’il pourrait pour rester en vie, il était bien trop jeune pour mourir, et avait bien des choses à découvrir de ce monde.

Le fils était amplement d’accord avec les propos d’Edric qui donnait son avis sur les évènements actuels. Il le savait agacé d’avoir attendu autant de temps pour que la flotte fer-né renaisse de ses cendres. Dagon quant à lui était remotivé, il avait senti le vent tourner dès lors que Botley avait vaincu au Fer-Prix. Il ne restait plus qu’à déployer les voiles pour prendre le vent en poupe et saccager les terres de Nord.

- Il est vrai que nos ennemis ont eu grand temps de se renforcer. Contrairement à nous qui nous nous sommes ramollis telle des larves après de multiples défaites et de discours inutiles. Mais notre esprit de revanche est bien plus fort qu’auparavant père, d’autant plus qu’il y a des chances que l’Empire ne nous voit pas venir. Ces enfoirés finiront par tomber. Dit-il d’un souffle persuadé, d’un regard enflammé, visant toutes les émotions négatives de son père, il reprit en tapant sans forcer du poing sur la rambarde en bois. Je le sens, comme le sang qui bouillonne dans mes veines, comme le Dieu-Noyé chantant à la tempête, le Roi Harren sera vengé, et notre gloire nous sera rendue.

Dagon était confiant pour la suite, il ne leur manquait seulement que d’un plan de génie afin que l’ouragan atteigne l’Empire. A la question de son paternel, il haussa un sourcil, première expédition ? Il savait éperdument que cela n’était guère sa première. Sans doute demandait-il d’une envergure pareille. Puis, il reformula ses dires, et Dagon s’écarta de la proue afin de se mettre face à la mer aux côtés du capitaine du navire, ses mains collaient à la rambarde. Il commença alors sa longue tirade, ses yeux se baladant tel un bâteau sur les eaux ondulantes tandis qu’il se rappelait de sa toute première expédition, qui fut la plus animée à ses yeux.

- Ma plus longue expédition fut au temps où Westeros tremblait sous nos cris de guerre. Ce fut une expédition riche en expérience, aussi dangereuse qu’éprouvante. Pendant près de deux mois, nous avons bloqué le flux maritime aux alentours de Dorne. Dérobant les marchandises et coulant les navires marchands afin d’affaiblir l’Empire et ses alliés. Ma patience a été mise à rude épreuve je dois bien avouer, d’autant que je devais garder mon sang froid pour ne point emmerder Gedeon. Par la suite, les capitaines ont décidé d’attaquer Lancehélion, mais avant cela, il nous fallait éliminer les premiers postes de garde. Ayant soif d’action et de sang, je me suis porté volontaire avec une poignée d’autres hommes. Je me suis plu au rôle du roublard, cela changeait des batailles ouvertes. Voir la surprise dans les yeux de mes victimes, alors que la vie les quittait avait quelque chose de jouissif, bien plus que la peur. Un soupire s’extirpa d’entre ses lèvres, sachant que le clou du spectacle n’était pas bien attrayant.  Malheureusement, comme tu le sais la suite ne s’est pas passée comme prévue. Nous ne nous attendions pas à ce qu’une armée soit établie lorsque nous avions attaqués. Alors que nous pensions agir aussi vite qu’un éclair dans une tempête, le sang a coulé abondamment. Tandis que nos camarades défoncaient les portes de l’arsenal, j’assurais leurs arrières avec d’autres, embrochant chaque dorniens qui tentaient de passer.  C’était la cacophonie, une épée dornienne m’a d’ailleurs laissé une trace. Avoua-t-il en levant légèrement son haut pour laisser voir une cicatrice sur son flanc droit, d’une longueur d’une demi-main. Il rabaissa ensuite sa chemise et reprit :  Beaucoup des nôtres sont tombés, notamment des capitaines, ce qui avait démoralisé les troupes. Mais au bout du compte notre objectif a été atteint.

Dagon n’avait jusqu’à lors jamais parlé de cette excursion avec Edric, ne sachant pas si la perte de son héritier originel le touchait encore. Dans tous les cas, il n’en a pas fait mention.

- Espérons que cette expédition-ci se passera bien mieux que les autres ! Nous ne savons toujours pas quelle partie du Nord nous allons attaquer ? Même si j’apprécie Botley, je n’aime pas être l’ignorant.

L'aurore d'une nuit noire

Les îles de fer sont bourrées de légendes passées, d’homme valeureux, conquérant et à la cruauté débordante. Des fer-nés partis combattre des créatures marines plongeant les mers d’un pourpre agonisant. Des fer-nés pillant les plus grandes cités de Westeros, avec des plans aussi minutieux que addictifs. Des fer-nés à l’ambition aussi affutée que la lame de leur hache pourfendant les armures des insoumis. Dagon avait grandi entouré de ces histoires, espérant un jour faire partie de ces récits. Pourtant, il y avait encore quelques têtes dont la réputation était grande sur les îles. Harloi, Timbal, Botley, son père Edric aussi. Ils sont les fortes têtes des mers actuelles, des hommes qu’il respecte un tant soit peu, qu’il envie, qu’il suit de loin. Salfalaise aurait pu en être un aussi, mais sa renommée est tombée avec lui d’une bien terrible manière. Harren Le Noir quant à lui, ferait sans nul doute parti des légendes qui continueront à faire rêver les gosses, à motiver les troupes, à inspirer les coeurs comme il inspirait Dagon.

- Une légende que je suis heureux d’avoir connu, même si ce n’était que de loin. Que son âme nous accompagne dans nos cris de guerre.

Sa mort marqua d’une pierre blanche le calendrier fer-né, une date qu’aucun n'oubliera. Une date où le Dieu-Noyé emporta l’âme d’Harren dans les tréfonds des mers. Afin qu’il puisse vibrer parmi les vagues et soulever les boutres en quête de leurs futures aventures. Mais l’Histoire continue sans l'éminent Roi, de nouvelles légendes et renommée se créeront pour bâtir la suite ou … la détruire.

Alors que Dagon contait ses aventures dorniennes, il montra sa preuve corporel de bataille. Son père esquissa une brève tape sur celle-ci ce qui fit ricaner le fils avant de se resaper. Il avait conscience de ses défauts, de son impatience sur les champs de bataille, il comptait bien travailler dessus, faire marcher son cerveau afin de ruser contre ses ennemis. Parer l’impatience par la réflexion, c’est ce qu’il s’évertuait à faire en entraînement. Mais c’était encore tout autre contre de véritables ennemis.

Lorsque son père passa un bras autour de ses épaules, Dagon en fut surpris et quelque peu perturbé, mais n’en laissa rien paraître tandis qu’il pivotait son regard vers son père. Il n’était que peu habitué aux marques d’affection, encore moins avec son père. Ils n’étaient guère réputés pour être des sentimentaux dans la famille. Il écouta les paroles aussi sages que expérimentées du paternel, sachant éperdument qu’il avait raison. Dagon acquiesça à la fin de ces dires, rétorquant d’une âme confiante :

- Ce sera une bataille féroce, à n’en point douter. J’ai hâte d’y être, d’apprendre à nouveau à tes côtés. Il se penche pour extirper un crachat de sa gorge, qui vient se mêler aux eaux salées. Juré je ne commettrais pas la même erreur que sur l’île aux ours, où cette garce nous a piégé.

Et il avait couru dans la gueule du loup comme bon nombres de leurs compatriotes. Il avait cédé à l’impatience sans réfléchir un seul instant à la situation, la soif de la bataille et du sang attisé par des journées d'attente. Se retrouver terrassé par une blessure béante et une fièvre étouffante lui ont bien donné la leçon. Quand Edric mentionna les femmes Nordiennes, Dagon lâcha un ricanement amusé. Il se reconnaissait bien dans son père lorsqu’il était matière de femme.

- On les dit frustrées par leurs hommes impuissants à l’avance du froid ! Un peu d’air et de chaire salée leur ferait le plus grand bien. Même si je ne suis pas friand des nordiennes, je ne m’y limiterais pas.

Une femme restait une femme après tout, il s’en satisferait bien. Mais le piquant n’était pas pour lui la résistance d’une femme. Il n’avait aucun intérêt à aimer labourer une femme qui ne le voulait pas. Non, il préférait être surprit par l’apport d’une femme lors des échanges. Même s’il préférait la plupart du temps avoir le dessus, les expériences sont faites pour être tentées.

Un sujet bien plus sérieux s’infiltra par la suite. Comment tout cela allait se passer. Dagon fronça les sourcils, il ne comprenait pas.

- La Grève Glacée ? Demanda-t-il étonné, essayant de chercher la logique. Pourquoi aller autant au Nord ?

Il n’aimait pas ne pas savoir, et encore moins ne pas comprendre les agissements des grands. S’ils devaient attaquer le Nord, pourquoi aller plus au Nord qu’au Nord ? Qu’y-a-t-il de si intéressant là-bas ? Des rumeurs disent que des sauvageons vivent au-delà du mur, mais c’est tout ce qu’il sait à ce sujet. Lui donner une telle information, c’est comme tendre un os à un chien sans réellement lui donner. La frustration le sied alors qu’on lui dit qu’il n’en saura pas plus. Edric finit par lui demander de parler de son équipage, il vint alors croiser ses bras sur son torse avant de jeter un œil vers l’équipage de son père.

- C’est tous de bons gars. Si au début j’ai dû casser quelques gueules pour me faire comprendre, tout va mieux aujourd’hui. Et je le dois en grande partie à Harald, il est plus mesuré que moi et m’a toujours bien conseillé. Ils sont grandement motivés par l’expédition, ils ont hâte d’engloutir le festin macabre nordique. De vrais gosses en attente de leur première excursion marine ! Dit-il un sourire moqueur aux lèvres, même s’il partage l’enthousiasme de ses confrères.