Le pouvoir est une bête ingrate, non c’est même une vermine envahissante. Il se répand, se multiplient et transforment en profondeur des cœurs autrefois pur. Le Mal n’a pas besoin de faire son œuvre pour que les hommes ne l’embrassent avec avidité. La quête du pouvoir n’est qu’une longue route parsemée d’amitié brisé, d’amourette oublié et d’incompréhension. Ne finissons-nous pas par se détester, incapable d’expliquer le comportement de l’Autre ? Sans doute, en tout cas les liens tissés puis rompu entre l’ancien esclave et la métisse demeurait un pertinent exemple…

Le servant de la Guerre se promenait sans trop savoir ce qui le poussait à le faire entre les arcades de ce palais qu’ils ne tarderont pas à occuper tout comme ils se sont engouffrés dans les grandes demeures des familles patriciennes d’Essos. Tout l’édifice des Valtigar semblait reposer sur cette soif insatiable de conquête, comme leur illustres ancêtres, ils allaient de villes en villes, de contrée en contrée entraînant d’abord la mort puis semant ensuite la vie. L’ambition de ses maîtres étaient devenu incontrôlable, tout comme l’hubris de Jaenyra n’avait cessé de se renforcer avec l’âge. Cette avidité était si imprévisible que Pausanias n’avait pas anticipé la tournure des événements, évidemment il avait été parmi les premiers à être mis dans la confidence. Il savait le sort abject que l’on réservait à la presque-feu souveraine des lieux et tous les mensonges dans lequel ses maîtres s’engluaient pour y parvenir.

Alerté par des bruits de tiroirs, de tissus et de soupir semblable à un fantôme qui chercherait à se faire entendre, le général tomba sur la suite de Jaenyra. La petite-sœur, la belle Valtigar, ses yeux se troublèrent un instant lorsqu’il se remit à parcourir les subtils traits de l’intrigante. Il n’avait jamais pu vraiment oublier la promesse de ses lèvres ou bien ses longs cheveux noir de jais qui la rendait si particulière, semblable à lui lui…

Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre la raison de sa furie, alors qu’une chemise de nuit filait à toute vitesse vers lui. Semblable à une chatte blessée dans son estime, la Valtigar faisait sans tarder ses bagages se sentant à la fois écarté et trahis par le pouvoir. Ce qu’elle ne savait pas, c’est que la volontaire ignorance dans laquelle la plongeait Maegor visait à rassurer la Martell ainsi que sa suite. Ses excès d’humeur devenant un gage de vérité évident. Puis l’ignorance n’est-elle pas une forme d’omission, de tromperie moins infâmante que la simple calomnie ?

- Pourquoi en serais-je ravi ? Qu’il répliqua alors s’appliquant à ne laisser filtrer aucune trace de mélancolie ou bien de colère dans sa voix. Se réfugier dans un mépris factice n’avait été qu’un moyen comme un autre pour lui de se remettre de cette déception. Les dieux n’ont rien à faire là-dedans, tu ne connais pas toi-même les limites et les visées de ton ambition, continua Pausanias aussi incisif qu’il ne l’était avec ses subordonnées.

Il l’observe faire semblant de préparer ses affaires, il se savait en position de supériorité, récemment conforté par son anoblissement et sa duplicité non-consenti dans les intrigues de palais. Palais qui sont pourtant le terrain de jeux favoris de la jeune furie.

- Que vas-tu faire alors ? Tu vas encore courir après la reconnaissance, le prestige tentant d’exercer une vague et pathétique domination sur d’autres cour ?

Le général n’allait ni dans la finesse, ni dans la dentelle. C’était sa façon maladroite, empêtré encore dans un égo blessé de la retenir ici-bas. Même s’il s’appliquait à entretenir un factice dédain, il ne parvenait à le rendre réel…

Il ne cessa de l’observer, de contempler cette furie. Elle s’activait dans un ballet interminable entre elle et ses colères légendaires. Indomptable comme un feu de forêt, le tempérament réservé et secret de Pausanias était comme une tache d’huile à côté. Une trace qui ne demandait qu’à être embrasé, emporté par une folie tout simplement humaine. Lorsqu’ils n’étaient que des bambins que Maegor n’était pas aveuglé par une ambition plus grande que son père, les deux enfants aux cheveux noir s’occupaient comme n’importe quel enfant. Alors ils se couraient après, encore et encore entre les tentes malmené par les intempéries et le temps. Comme un parallèle avec la situation actuelle c’était toujours l’intrigante qui avait l’initiative, qui mettait toujours le plus d’énergie et de motivation dans les jeux. Jaenyra était animé de cette ambition débordante, un besoin irrépressible d’être toujours la meilleure et de gagner à tout prix. Alors l’ancien esclave dans toute sa modestie et son effacement naturel la laissait gagner même lorsqu’il pouvait la rattraper en quelques pas, sans effort. Elle n’avait probablement jamais notifié cela, gonflé de tout l’orgueil dont elle se parait naturellement. Peut-être même qu’elle n’en avait aucun souvenir mais cela suffit à faire sourire le guerrier qui ne put s’empêcher de froncer les sourcils lorsqu’elle l’accusa d’être comme les autres.

- Je ne suis entrain te dire cela Jaenyra, connaître ses limites ce n’est pas se priver de l’ambition. Mais ce n’est pas en grimpant aux tapisseries que tu obtiendras la place que tu mérites.  Tu penses vraiment que t’enfuir comme cela, va te faire gagner des arguments auprès de Maegor ? poursuivit-il aussi incisif qu’un mestre usé aux arts de la chirurgie. Donc tu es née pour t’enfuir à la moindre contradiction, au moindre moment où les choses ne se passent pas comme prévu ? Tu devrais garder la tête droite, faire comme si ça ne t’affectait pas.

Il répondait du tact au tact comme un avocat qui essaierait de convaincre son client coupable jusqu’aux l’os d’avouer ses crimes. Elle était une peine perdue, une entité qu’on ne pouvait contrôler. Il suffisait de lui dire une chose pour que Jaenyra fasse tout pour faire le contraire dans un simple esprit de contradiction, pour affirmer une individualité bien trop forte pour un monde normé comme celui de Pausanias et de la Valtigar.

Elle s’avança d’un pas, enfin d’un demi-pas cessant enfin de virevolter comme une tornade dans la pièce. Le calme avant la tempête probablement, il se sentait au cœur de l’anticyclone. Dans une posture loin d’être sûr. Sa question eut l’effet de cette brise menaçante, annonçant les troubles à venir.

S’empêchant de balbutier, pousser derrière ses propres douves alors qu’il dominait jusqu’alors l’échange. Le guerrier choisit avec soin ses mots lui livrant une réponse sur laquelle elle ne pourrait le cueillir :

- Je vais conduire nos armées à la conquête de cette misérable terre parce que je le dois à ta famille, à ton frère et à ton père. Tout ce que je n’ai jamais désiré c’est rembourser ma dette, je dois tout à Tyraemarr. Aucune légende ne coule dans mes veines jusqu’à peu je n’étais qu’un esclave, je ne suis là que parce qu’on a jugé bon que je le sois. Alors tu penses que je vais jouer à l’ingrat ? Que je vais me révolter parce qu’on ne m’accorde pas plus ? lui demanda-t-il, des éclairs lui sortant sans le vouloir des yeux. Son ancienne condition avait toujours été un fossé entre lui et la famille Valtigar alors que tout était acquis pour eux, tout était tracé et destiné. Lui devait sans cesse montrer qu’il était digne des étoiles et non des abysses. Sortir de l’anonymat et se conserver dans la légende était un travail de tous les jours.

Une tâche éreintante que Pausanias poursuivait en souvenir de l’œuvre de son père, l’homme qui avait assumé de garder un bambin dans un groupe aux abois errant parmi les mornes dunes. Un passif qui le poussait à sortir légèrement des gonds dans lequel il se mettait tout seul. Alors lui aussi fit un pas en avant réduisant encore l’écart.

- Alors je vais serrer les dents et les poings jusqu’à que ma dette soit remboursé car rien ne m’est acquis car j'ai toujours dû prouver ma valeur. Bien plus que toi, Jaenyra, conclut-il sur un ton à l'accent inquisiteur.

Il omettait de dire que sa dette ne serait jamais remboursée et qu’il expirerait probablement sur son lit de mort en transmettant la lourde tâche de servir de chien de garde à ses héritiers…

Le fossé était pesant, gigantesque, un vide sans fond rappelant les errements de l’âme. Cette crevasse entre ces deux âmes autrefois si semblables c’était creusé au gré des incompréhensions, des événements extérieurs, du pouvoir et de l’amour. Le lien s’était distendu jusqu’à parfaitement rompre ne laissant qu’un écart impossible à combler, insupportable par sa présence mais impossible à résorber. Par vanité, par désespoir ou seulement par naïveté les deux jetaient sans coordination des objets, des mots, des pensées dans ce gouffre croyant que les débris finiraient par s’amonceler pour créer un pont. Une passerelle pour se retrouver l’un et l’autre sans savoir ce qu’ils souhaitaient réellement.

Sauf que le fossé est si grand, se battre pour quelque chose de plus grand que soi, les idéaux étaient inconnus du général. Mieux, il ne comprendrait jamais ces passions de l’âme qui avait perdu de si grands hommes d’état. Pausanias ne se battait pas pour ses enfants, il ne se battait pas pour sa gloire ou celle de ses maîtres. L’ancien esclave se battait car il ne savait rien faire d’autre, Pausanias avait été véritablement modelé, arraché à la terre glaise pour devenir un parfait petit soldat. Chez qui la Guerre, la Mort et la Destruction ne sont que les prolongements naturels de la vie. Il semait la mort sans en jouir ou bien en pâtir mais juste puisque quelqu’un devait s’en occuper. Sa force et sa vitalité était des outils mis-au-service d’une cause qui l’intéressait finalement peu, d’un avenir dont il ne souciait pas.

Or cette chose qu’il était aux commandes d’une armée, cette épée tranchante et précise qu’avait usé jusqu’à presque émousser les Valtigar. Pausanias l’abandonnait à la moindre occasion, il se délestait de ce masque désespérément neutre pour l’espace de quelques heures se retrouver. Comme si le personnage public et privé cohabitait dans le même corps frêle et mortelle. Un véritable Janus qui sans cesse frôlait la disjonction, la rupture fatale. L’une des faces finira par effacer l’autre quand cette crevasse interne sera, elle aussi, insoutenable.

- Qu’est-ce que je devrais faire alors Jaenyra ? Qu’est-ce que je devrais réclamer pour mes bons et loyaux services ? lâcha alors dangereusement le général laissant malgré sa face privé prendre le dessus. Cette face qui acceptait bien moins facilement cette soumission passive, parfaite et totale. Ton comportement n’a jamais été un rappel, il m’a enfoncé comme les instructeurs dans le désert des Cendres, gronda-t-il s’abandonnant à tout ce ressentiment. Cette profonde incompréhension enfouit au plus profond de son âme, qu’il avait cru apprivoiser comme il l’avait si bien fait avec chaque chose de son existence. Il eut envie de lui crier « pourquoi lui ? » et cette question triste, douloureuse, nostalgique de ce qui ne fut jamais « pourquoi pas moi ? »

Mais le guerrier savait qu’il était aller trop loin, que l’armure s’était que trop fissuré pour lui aussi. S’il poursuivait sur cette voie où le Soleil exposait sans vergogne tous ses flancs, il ne finirait pas imploser en pleine course.

- Oublie, tu ne comprendras pas de toute façon, souffla-t-il. Ces quelques mots lui arrachant des épines d’haine et de ressentiment, des piques qui retiré ne laissait que d’autres gouffre dans lesquels des larmes qu’il retenait avec peine voulait s’infiltrer. Tu disparais pour la seconde fois, commença-t-il énigmatique se laissant quelques secondes pour finir une phrase qui lui coûtait, mais je ne te retiendrais. J’imagine que c’est la marque du destin qui te pousse à ces extrémités…

Sans qu’il ne l’anticipe, le pauvre général ralluma la flamme qui n’avait cessé de brûler dans le cœur de la rejeton Valtigar. Aussi corrosive que ses frères, voir plus ardent tellement la fièvre semblait la transporter au moindre excès de ses émotions ; Pausanias avait toujours redouté ces moments éruptifs qui rendait violente. Le coup de poing – assez peu convainquant – qu’elle lui adressa n’en était que la preuve assez pathétique. Mais lui, cet homme qui n’avait cessé de refouler ses émotions, décapant toute sa personnalité pour en faire une plaine sur laquelle pourrait s’assoir et se reposer ses maîtres, ne savait comment réagir. Que faire face à une furie ? La laisser s’exciter avant que le magma ne retombe et que la colère ne laisse place à une froide indifférence ou bien l’engrainer dans la colère jusqu’à réveiller la sienne.

Aucune des deux options ne lui semblait souhaitable et le jeune homme se sentait pris malgré lui dans une toile d’araignée. Il ne pouvait plus s’éclipser, faire comme si de rien n’était surtout après les mots assassins que sa bouche avait osé prononcer. Le hasard du destin lui forçait malencontreusement la main, il n’aurait jamais dû s’aventurer dans ses appartements… Qu’est-ce qu’il attendait en venant ici, si ce n’est de l’amertume et de la colère ?  

Au nom des Valtigar, il avait combattu tous les périls d’Essos et marcherait bientôt sur ce continent qui attisait toutes les ambitions. Mais il était bien incapable de lui avouer de but en blanc ses sentiments comme un adolescent gêné par ce que la puberté lui faisait découvrir, il baissait les yeux cherchant dans ce que son imagination malheureusement réduite pouvait lui offrir comme solution de sortie. Pausanias aurait voulu être aussi habile dans les mots que ces viles diplomates qui suivaient les armées, remplissant les cœurs et les esprits de fausses promesses ; bricolant in-extrémis une paix nécessaire au conquête…

Mais il était aussi maladroit qu’un écuyer auquel on confierait pour la première fois, la monture de son maître. La brune, sa semblable, lui faisait perdre tout ses moyens. Cherchant son regard avant de se lancer, triturant nerveusement l’anneau gravé avec ses armoiries, le général marmonna piteusement dans sa barbe mal entretenue avant d’oser dire :

- Si je t’avais expliqué plus tôt, tu m’aurais ris au nez Jae’, rispota-t-il amèrement réutilisant un vieux surnom qu’il utilisait lorsqu’ils jouaient encore innocemment. Si je m’étais battu pour ce que je voulais, j’aurais en quelque sorte trahis ton frère, mon meilleur ami, poursuivit le serviteur de la guerre sachant qu’il ne pourrait plus reculer, car je te voulais toi Jaenyra. Seulement toi et ce depuis toujours, je ne te regardais plus car à quoi bon contempler l’inaccessible et l’inacceptable ?

Il croisa ses bras, à la fois comme un signe de défi et pour se protéger des prochains accès de colère que l'ancien esclave redoutait plus que la mort...

Pourquoi ? La question de la jeune Valtigar prenait les couleurs de l’absurde car pourra-t-il jamais y répondre ? L’âme a ses raisons que la raison ignore, l’amour n’est pas un choix, le fruit d’une longue réflexion. Non il frappe, détruit puis rabat les cartes sans qu’on ne puisse y trouver de vastes desseins. Les circonstances importaient peu, la flèche finissait toujours par trouver sa victime.

Il l’observe, spectateur de son propre destin, comme si son esprit se désolidarisait par couardise de cette enveloppe charnelle menacé par la fureur de la bâtarde. Pausanias ne savait où se mettre, les pieds comme englué sur les dalles de la suite, il n’avait rien à ajouter. Regrettait-il sa fidélité aveugle ?  Non, comment pourrait-il… Le guerrier avait toujours donné la patte, dressé comme un petit chien de garde ; il en avait intégré jusqu’à l’essence de cette position. La fidélité ne pouvait se dissocier de lui, sans elle le valyrien serait étranger à lui-même. Une autre personne, un ersatz insipide de sa personnalité déjà assez plane. Alors elle pouvait lui en vouloir, maudire ce qui le caractérisait dans un monde hanté par les intrigants, les hypocrites et les sournois. Cela ne changerait rien, il ne pouvait s’amputer de cette chose qui guidait ses pas et cadrait ses pensées.

- Je te veux toujours, annonça-t-il avec une voix atone assumant chaque implication de cet assemblage de syllabe. Vouloir voulait dire tant de choses, ce verbe recouvrait des réalités si différentes, des espoirs tellement vastes que même s’ils s’abandonnaient l’un à l’autre ; l’acte ne parviendrait en soi à satisfaire toutes les exigences de cette volonté.

Alors il resta, sa conscience lui criait de s’en retourner, quitter à jamais une chose qui bouleversait jusqu’à ses convictions les plus profondes. Pausanias pouvait encore s’en tirer à bon compte, il pouvait encore éviter l’abandon coupable que son cœur désirait tant.

Mais il ferma bruyamment la porte, ses yeux bruns s’embrasant d’un feu longtemps couvé, étouffé par une fidélité idiote. Pourquoi respecterait-il les amours de Maegor, si lui piétinait ses propres passions. Il aurait pu pousser le raisonnement comprenant enfin que son existence passait avant celle des autres mais ce simple constat était encore trop radical pour que Pausanias ne l’accepte.

Debout, rigide comme le pilier qu’il avait toujours été ; le guerrier toisa cette femme qui avait hanté ses rêves les plus honteux.

Ils étaient deux ombres, ceux qui furent toujours sur le côté, à jamais reléguer sous le poids des prophéties dans les périphéries du pouvoir. Pausanias avait été affranchi certes, Jaleyrac avait gagné une place de choix malgré son statut de bâtarde. Mais ce n’était jamais assez, le soldat avait été marqué du sceau de l’esclave. Il était pour toujours lier à ses maîtres, parfaitement incapable d’ôter cette marque qui lui faisait courber naturellement l’échine.

Peut-être que c’était cette frustration partagée qui le poussait irrésistiblement vers la jeune femme, comme un pauvre défi adressé à Maegor qui malgré tout ses accès de camaraderie resterait à jamais son maître. Mais ce serait rester en surface, tenter vainement de décrire l’impensable. Il l’aimait, c’était tout.

Il l’aimait et il aurait voulu le lui crier, le lui prouver plutôt. Mais lorsqu’elle s’approcha, franchissant sans le savoir la frontière qui les séparaient depuis de si longues années ; le guerrier perdit la tête. Comme si la mer refluait précipitamment, il sentit son âme se vider soudainement de ses peurs, ses colères et de ses doutes. Il était là, elle aussi, rien d’autre ne comptait maintenant.

Le guerrier ne sentit rien d’autre qu’un bonheur diffus lorsque sans crier gare les mains de la belle valyrienne s’agrippèrent à sa veste pour la faire négligemment glisser par terre. Il aurait dû s’alarmer, s’offusquer et pousser l’esprit coquin qui le déshabillait. Après tout, à part un lointain idylle à Pentos, personne ne l’avait jamais habillé ou l’inverse… Mais loin de se sortir comme un enfant fébrile, confronté à l’inconnu, Pausanias avait l’agréable sensation que les choses devaient finir de cette manière. Que tout était écrit.

Plongé dans un présent sans horizon, seul face à cette jolie créature qu’il avait tant convoitée ; le guerrier souffla avec conviction :

- A ton avis Jaenyra ? alors qu’il ne put s’empêcher de frémir en sentant sa main frôler sa taille. Tandis que son regard avide détaillait chaque pan de peau nu qui s’offrait à lui. Coincé entre elle et le mur, il se sentait étrangement apaisé.

Se passant enfin des mots, remettant avec bonheur son honneur entre les mains malicieuses du destin ; ses lèvres allèrent chercher les siennes comblant l’infime écart qui aurait pu leur permettre de se défausser. Quelques instants auparavant, se défaire de l’étreinte était possible mais maintenant…

Car déjà, la mer revenait à la charge déversant lentement tout ce désir depuis tant d’années enfouies. Pausanias - coincé entre ce mur et la femme qu’il aimait - n’était plus que l’ardeur assuré, le désir assumé. Alors qu’il s’était laissé pousser, lui laissant jusqu’alors assez de marge pour s’enfuir et faire taire l’intime rébellion qui les animaient ; le guerrier reprit rapidement le dessus. Alors que ses lèvres mordaient les siennes, venait chercher ses joues, ses pommettes, sa mâchoire et enfin son cou. Ses mains s’activèrent aussi s’assurant une prise assurée sur sa taille. Les quelques pans de sa tunique délaissaient peu à peu la peau mât de sa partenaire qui dans un mouvement parfaitement exécuté se trouva vite à la place du général.

- Tant d’années… souffla-t-il alors ne pouvant s’empêcher d’interrompre ce silence seulement entrecoupée de leurs soupirs.

Il la découvrait avec une impatience palpable, irrigué par des années de refoulement, l’homme semblait inarrêtable ; pire insatiable. Mais il n’était pas une de ces présences brutes et indifférentes, ce genre d’hommes qui jouissaient des femmes comme de vulgaires objets. Au contraire, Pausanias était animé par l’émerveillement plutôt que le vulgaire manque de chair…

Quelque chose s’était rompu, un équilibre avait cessé d’exercer sa familière pression sur le général. Il ne saurait le voir maintenant, pressé contre elle. L’esprit envahi par l’animalité préoccupé à la découvrir. Mais il s’était métamorphosé, l’enfant timide qui sommeillait en lui avait oser poser un orteil sur la ligne des normes, sur la grande frontière « Tu dois ». Cette limite infranchissable qu’il avait parcourue de long en large sans se douter qu’un infini de possibilité s’étendait au-delà. « Je veux », deux syllabes, deux mots à la portée incommensurable. N’avait-il jamais voulu quelque chose ? Non, à part elle, maintenant et ici ; contre ce mur quelconque couvert d’une tapisserie oubliable.

Cette femme, sans le savoir, le rendait dangereux. Il était capable de tout pour contenter ce regard sombre qui l’avait négligé. Renverser des montagnes, survivre à des cyclones, se rendre coupable de régicide. Rien de tout ça ne semblait assez pour le valyrien. Il en perdait la valeur des choses mais surtout l’appréciation des risques. Tout son pouvoir se basait sur la fidélité sans faille dont il avait fait preuve. Pausanias était ce pilier discret sur lequel se reposait les bottes des conquérants. Sans lui ? Rien de tout ça. Mais plus que tout, contre lui ? Ils n’avaient aucune chance. Ils étaient le héros des légionnaires, le phare dans la brumeuse servitude. Mais cela, il n’en était pas encore conscient.

Il ne se rend même pas compte que le plastron d’apparat qui couvre son torse tombe, dans un tintement qui ferait jaser n’importe quelle servante, sur les dalles froides de la suite. Ses lèvres sont trop occupées glisser sur ce cou frêle qu’on lui avait apprit à tordre, sur ces clavicules et épaules qu’il savait déboîter d’une maigre pichenette. Avant d’être un noble, avant d’être un amant ; il avait été un tueur. Mais cela non plus n’avait plus d’importance.

. Comment pourra-t-il regarder Maegor après ? Il n’en savait rien. Rien, n’émanait plus de son esprit si ce n’est cette fièvre jamais guéris à l’égard de Jaenyra. Il transpirait de cette obsession, impossible à contenir ni à oublier dorénavant. C’était acté, qu’ils s’arrêtent ici aux portes de l’amour ou bien lui rende grâce toute la nuit. Rien ne sera plus jamais pareil.

Lorsqu’il sentit, les doigts fins de la bâtarde rencontrer son sexe. Il ne put le contenir, l’empêcher de se dresser, gonflé par des années d’abstinence forcé. Ses sens, son corps, ses membres étaient Indifférent aux conventions, à leurs rangs mais surtout aux rumeurs qu’ils écloront comme des fleurs aux printemps.  

Prolonger l’instant, l’écourter. La prendre comme ça, la tourner ou l’emmener jusqu’à sa couche. Trop de choses se déversaient en lui, semait la confusion et le paradoxe dans le soldat. Qui tentant maladroitement de cacher son désarroi, se pressait avec toujours plus d’insistance contre la brune. Cherchant et ne cherchant, avec sa main, son inimité. Espérant sans doute vainement qu’à force de caresses et de soupirs, leurs corps s’uniront…