Depuis la double confrontation de Malefosse, le Royaume du Bief continuait de passer partout à l’attaque. Dans le Conflans, l’armée Rollingsford avait foncé sur Harrenhal, repris ses ruines pour un symbole très fort, marquant le retour de la bannière Hoare de la Reine Eren dans le bastion déchu de sa famille. Ensuite, cette armée avait continué sa marche sur le nord, prenant de vitesse un Empire concentré sur d’autres axes. Lychester et Herpivoie avaient été pris dans des élans violents, coupant la route de Fort-Darion à Vivesaigues. Le péril pesant sur la capitale impériale était double ; d’une part la proximité de forces rendait la situation de la cité elle-même en proie à une terrible menace, tandis que le Bief marquait là son soutien à ses alliés du Val et de l’Ouest. La posture de Rollingsford, en effet, rompait les voies de communication entre les armées impériales combattant l’Ouest vers Vivesaigues et la Verfurque, tandis que la menace très tangible sur ses arrières forçait l’Empereur à abandonner, au moins provisoirement, son entreprise de conquête du Royaume de la Montagne et du Val. Pis, si une armée valoise sortant des Portes Sanglantes faisait sa jonction, la capitale elle-même pourrait tomber. La bataille semblait proche…

A Dorne, les garnisons bieffoises étaient assaillies par les rebelles Allyrion, agglomérat de mercenaires, de rebelles, de déserteurs, de renforts impériaux et peyredragoniens, menés par l’Impératrice et son dragon. Là-bas, la situation empira rapidement, à tel point que La Tombe-Du-Roy était reprise, et que d’autres cités annexées des Montagnes Rouges suivraient sans doute ; le désastre croisé aux Météores découvrait tout le flanc sud du Roi Manfred.

Ses vaisseaux étouffaient le commerce impérial dans la région d’Accalmie et des îles orageoises, mettant une pression d’enfer sur une économie déjà étouffée par deux ans d’invasions, de réquisitions et de pillages en règle par le passage d’armées diverses. Plus encore, les deux batailles de Malefosse et le débarquement de Lord Stackhouse dans les environs d’Accalmie avait aggravé la crise secouant l’Orage. Sa cavalerie massacrée durant les affrontements, son Consort aux mains de l’ennemi, la Reine Argella avait fait front avec témérité, mais se trouvait maintenant poursuivie, pressée de toutes parts, par une armée bieffoise qui avait souffert, mais qui était encore assez nombreuse pour la submerger, et formidablement dotée en cavalerie efficace. Le Roi Manfred lançait sa cavalerie, près de trois fois plus nombreuse que les survivants impériaux, sur les flancs de la colonne Durrandon, harcelant son arrière-garde sans cesse pour la mettre sous la menace d’une charge, ce qui ralentissait considérablement la troupe et la laissait sans cesse exposée au risque d’encerclement et de destruction par l’ennemi.

En vue de Wensington, enfin, la jeune souveraine était devant un choix cornélien. L’avant-garde du Bief ne semblait pas vouloir la lâcher et ayant séparé son armée en deux quelques jours plus tôt elle n’était absolument plus en position de déclencher un affrontement en bataille rangée ; le Bief l’aurait submergée et détruite. Argella dû tenir compte d’un certain nombre de considérations, le temps mitigé, pouvant tourner à l’orage, un terrain favorable car en relief, un village à proximité dominant un ruisseau. Déjà, les cavaliers du Bief pointaient le bout du museau à l’issue de plusieurs champs et vergers à l’ouest des positions de l’arrière-garde orageoise. Malgré les ordres donnés de ralentir l’ennemi, la perspective de rester au contact d’une troupe de cavalerie lourde qui se fatigue moins dans son mouvement depuis des jours échaudait grandement les fantassins laissés en arrière-garde, aussi si bataille il y aurait serait-elle plutôt défensive… A moins de revenir en arrière avec le corps principal, voire avec l’avant-garde. L’incertitude quant aux mouvements bieffois tiraillait tout son état-major ; avec sa supériorité manœuvrière, à quel point les Hightower avaient pu progresser sur les côtés de l’armée ? A quelle distance se trouvait encore le corps principal de l’Ost Royal ? Tant d’inconnues qui rendaient tout engagement pour le mojns hasardeux.

La Reine prit alors la décision qui s’imposait ; l’avant-garde orageoise entrait en Wensington pour tenir la place le temps que l’armée, à marche forcée, entre à son tour. Pendant ce temps, l’arrière-garde tenait, arc-boutée sur le relief plus haut sur la route menant à la ville. Piquiers et archers longs en position pour décourager toute action offensive de la redoutée cavalerie bieffoise… Mais le commandant de l’avant-garde ennemie, Lord Florent, était un homme prudent. S’il s’était montré efficace dans la reconnaissance et la poursuite de l’armée impériale, il n’avait pas envie de voir ses cavaliers se fracasser sur des carrés de piquiers ennemis comme à Malefosse… Le général attendit les renforts du Roi, le temps que ses cavaliers légers s’assurent du dispositif défensif de l’Orage, dûment retranché sur du relief et le village. Ses reconnaissances prirent du temps, et les tirs défensifs des archers longs Durrandon découragèrent une avancée plus poussée.

Informée que l’ennemi attendait de masser ses forces, la Reine saisit l’opportunité de sauver son armée. L’arrière-garde décrocha rapidement pour trouver le confort de la ville et de ses défenses, après la défaite et la fuite de Malefosse, l’angoisse de la poursuite ennemie. Le moral ne tenait qu’à un fil. Le départ précipité de l’essentiel de la cavalerie orageoise vers le sud acheva de faire décliner le moral de l’infanterie, laissée par milliers dans une ville dont l’armée ennemie, déjà, consacrait l’encerclement. Combien de temps pourraient durer des milliers et des milliers de soldats dans une ville de province assiégée, dans une région dévastée depuis deux ans ? Les sièges n’occupent que rarement plus de quelques centaines de soldats, sous le risque, autrement, que les réserves ne s’épuisent trop vite.

La Biche avait échappé au Roi Manfred. Mais tout portait à croire que ce ne serait pas pour longtemps. Restait l’espoir d’être délivrée du siège que déjà l’ennemi préparait, mais par qui ? Sa cavalerie partie au sud ? Les autres parts de l’armée orageoise, divisées en garnisons et réserves plus au sud ? Ou peut être était-ce pour cela que la Reine avait pris le parti de diviser son armée, pour ensuite tomber sur le râble des bieffois? Les deux camps semblaient tour à tour prendre l’avantage, manipuler leur adversaire, ou simplement composer avec les nécessités de leur propre situation. D’une façon ou d’une autre, la campagne de l’Orage s’approchait d’un dénouement, quel qu’il soit, et fera la gloire doit du froid stratège Manfred Hightower, soit de la tempétueuse Argella Durrandon.