Ils sont rares, à encore aller dans les Montagnes. La majeure partie des riverains qui avait ses habitudes sur les hauts sommets enneigés du Royaume avaient tendance à y limiter leurs expéditions, bergers, chasseurs ou mineurs, car le jeu n’en valait pas la chandelle depuis que les Clans étaient entrés en guerre avec la Couronne. Beaucoup de valois avaient disparu, leurs troupeaux de moutons avaient été prélevés au passage, et les montagnes paraissaient plus sauvages que jamais.

Pourtant, les combats avaient fini de se tasser. Les troupes du Roi ne se rendaient plus dans les cols et vers les sommets, et les Clans ne descendaient plus vers les monts en contrebas. Alors, lentement, l’activité reprenait. Presque avec timidité. Des bergers remontaient, parfois, pour profiter de l’herbe grasse des alpages encore accessibles. Mais aussi et surtout, les chasseurs. La fourrure des ours, des loups, le cuir des bouquetins ou le commerce de viande, tout reprenait avec vigueur et prudence. Il y eut quelques escarmouches avec les guerriers des Clans, mais sans trop de pertes de part et d’autres. De plus d’un an d’activité en recul, la faune et la flore s’étaient développées et étendues. Le gibier était présent en plus grand nombre, et plus bas que d’ordinaire.

C’est dans ces circonstances qu’Ugor tueur-de-monstres et sa bande de trappeurs, s’équipèrent et s’armèrent pour une campagne de plusieurs semaines sur les sommets dominant Forchant au nord. Connu pour avoir prétendument abattu un Griffon près des Falaises bordant la Morsure, l’homme était un chasseur renommé pour être le meilleur ranger du Val, aussi habile à l’arc qu’au poignard, et paré d’un collier d’oreilles de barbares des montagnes. Son équipe et lui franchirent le Col de Minasteir au bout de trois jours, et au sommet suivant, tombèrent nez à nez avec un fort parti de guerriers des Clans. Les flèches fauchèrent plusieurs chasseurs de chaque côté et il fallut battre en retraite sur les flancs décharnés des hauteurs à pic dominant tout le Val ; le brouillard quasi permanent et la neige épaisse étaient des protections pour tous ceux qui voulaient passer inaperçu dans les environs, mais des protections bien dangereuses… Nombreux étaient les morts que les glaciers, rejetaient dans les rivières du Royaume en fondant au Printemps.

L’équipe survécut plusieurs jours en se nourrissant de marmottes chassées jusque dans leurs terriers. Mais c’est en redescendant, à bout de ressources, que le groupe de chasseurs tomba dans une embuscade sanglante et singulière. Perdus dans une pente couverte de sapins, près d’un ruisseau sinueux entre rochers enneigés, le groupe fut alerté par des grognements et des feulements menaçants. Tirant poignards et bandant leurs arcs, un guerrier disparu dans une tempête de fourrure gris sombre, et son sang éclaboussa ses camarades. Tombé dans le ruisseau, il fut retrouvé égorgé et le corps lacéré de griffes monstrueuses, et une silhouette sombre s’éloignait en contrebas, louvoyant entre les rochers. Les chasseurs prirent la décision de s’en prendre au monstre et de venger leur ami… Et suivirent les traces de pas plus larges que leurs propres bottes rembourrées de fourrures.

Un autre homme fut happé dans des fourrés, trainés par les jambes en hurlant, jambes qui lui furent arrachées au milieu de grognements félins dans une débauche d’hémoglobine qui tétanisa les trappeurs pourtant rompus à la mort ; Ugor tenta de mettre quelques coups de hachette dans le monstre, mais ne l’atteint pas. Deux hommes de plus furent tués avant le crépuscule, et trois durant la nuit. La menace venait de partout ; de la végétation, des rochers, et un homme fut même emporté après qu’une masse gigantesque lui soit tombée dessus depuis les branches d’un résineux haut de trente pieds. La bande était réduite à deux survivants, qui montèrent un piège pour s’en prendre au monstre. Dos à dos devant le noir, le dernier camarade d’Ugor succomba à un coup de griffes qui lui déchira le visage. Ugor courut vers le piège, après avoir mis un coup de poignard en plein dans la joue du monstre à quatre pattes qui avait déchiqueté sa compagnie, et la mort sur ses talons, pria en criant à demi tous les dieux de l’univers de lui permettre d’atteindre le salut… Blessé à l’épaule, il dérapa sur le côté, roula alors que la bête lui sautait dessus… Et tomba dans la chausse trappe. Les grognements se muèrent en feulements, puis en gémissements plaintifs. La créature était empalée sur un parterre de flèches, dans un trou de quelques pieds creusé à la hâte. Ugor l’acheva de plusieurs coups de poignard en direction du cœur, et s’essuya le visage de son propre sang.

Il enterra ses amis dans le lit du ruisseau, du moins, ceux qu’il retrouva au petit matin. Le soir, il fouilla les environs, et trouva la tanière de la bête, et deux petits protégés par la féline créature, qui avait dû sentir le danger approcher de sa progéniture, ce qui l’avait rendue aussi agressive.

Ugor ramena les deux boules de poil, qu’il nourrit de ses maigres rations de viande séchée jusqu’à redescendre de la montagne. Gardant jalousement son trésor, il n’en dit rien à son suzerain au pied de la montagne, ni aux gens de son bourg pourtant avides de détails dans son récit de gloire et de mort sur les monts du Val. Il emprunta une monture, et alla directement voir le Roi, au milieu de ses troupes.

Reçu par le jeune Roi Ronnel, il lui offrit les deux Lynx de Fumée, dont on n’avait plus vu de représentants depuis près d’un siècle, en échange de trois promesses. La première que les épouses de ses compagnons soient gratifiées d’une pension, que leurs enfants pris au service de la maison du Roi, et que ces deux créatures soient protégées, qu’elles soient dressées si le Roi le veut, mais qu’elles puissent vieillir, et si possible se reproduire. L’homme, malgré le massacre de ses amis, vouait un respect immense à ces créatures, dont la génitrice avait été, selon ses propres mots, le défi de sa vie.

Désormais, il pouvait arrêter. Il en avait trop vu, trop fait, et il ne pouvait pas dire à sa propre femme qu’il repartait, au risque de recroiser un jour pareille créature…

L’arrivée des deux félins fut fêtée par l’Ost royal, qui y vit un bon présage dans la guerre à venir. Le Val était défendu par ses plus anciennes forces, par sa nature même ; ainsi protégé, il ne pouvait rien arriver au Royaume…

Points du Val
+2pts Prestige (permanent)