Le soleil a fini par se lever. Après une journée interminable, bien plus difficile à passer que je l’aurais cru en premier abord. Et pourtant, c’est arrivée. Je réprime un bâillement alors que je regarde le ciel se parer des couleurs matinales, non sans jeter un regard dubitatif à mon verre à moitié vide. J’ai beaucoup trop bu cette nuit, mais je crois que c’était la seule façon de tenir bon, de ne pas flancher. Et puis, je suis étonnamment lucide malgré tout ce que j’ai pu ingurgiter.

Le château commence à se réveiller, si tant est qu’il se soit réellement endormi. Et les torches se rallument ça et là. Je leur pose un regard distrait avant de m’appuyer sur mes deux coudes sur la pierre. Il fait froid sur la terrasse mais au moins, c’est tranquille. Dans la grande salle derrière moi, les gens commencent à s’agiter pour le premier repas de la journée. Mon estomac gargouille à cette pensée alors que je me rends compte que j’ai à peine mangé hier. Je bois quelques gorgées de mon verre, non sans grimacer, vaguement dégoûté. Trop de vin, c’est définitif.

Je me retourne, bien décidé à chiper de quoi manger avant que tout le monde n’arrive. Pour me figer un instant en reconnaissant la silhouette vêtue de noir qui vient d’entrer dans la pièce et a plongé les serviteurs dans un silence intimidé. Je ne saurais dire si Jeyne a réellement gagné en prestance pendant notre absence, avec la mort de Loren, ou si je n’y avais jamais prêté attention mais, en cet instant, elle est plus Reine que jamais je n’aurais cru la voir devenir.

Son regard est pourtant tellement froid que j’ai du mal à le soutenir. Mais j’ai l’impression qu’il se radoucit à ma vue. Ou alors je l’imagine, ce qui ne serait pas totalement surprenant. Elle se dirige cependant vers moi sans que j’ai à dire ou faire quoi que ce soit. Et je m’adosse contre la rambarde de pierre, la fixant en silence quelques instants. Avant de m’incliner légèrement devant elle. « Majesté. » Je me redresse et reprends ma position initiale, non sans continuer de la regarder. Et je me retourne, mon regard se perdant dans la contemplation du paysage. « J’ai toujours adoré Castral Roc à ce moment de la journée. Quand tout se réveille, que tout semble… neuf. Possible. D’autant que personne ne s’attend à ce que je sois éveillé. Ou pas encore endormi. Peu importe. » J’ai un temps et je soupire doucement. « Mais je vous avoue que j’aurais préféré ne jamais avoir à vivre cette nouvelle journée. Celle qui suit immanquablement l’avènement d’un nouveau Roi. »

Par réflexe plus qu’autre chose, je finis mon verre d’une traite, avant de secouer la tête. « Je savais que j’aurais dû m’en débarrasser avant. C’est infect après plusieurs heures à se réchauffer. » Et je lui jette un regard en coin avant de reprendre, d’une voix plus douce. « Comment vous sentez-vous Jeyne ? » Je me demande si elle va garder son masque, même avec moi. L’ôter après avoir dû tenir ce rôle depuis la mort de Loren va devenir de plus en plus difficile. Et il faudra que je fasse de mon mieux pour qu’elle et Lyman y arrivent, au moins lorsque nous serons tous les deux. Sinon, ils se perdront tous les deux à trop vouloir en faire.

Les nuits étaient bien trop courtes depuis quelques jours. Je n'arrivais pas à trouver le sommeil une fois réveillée. Il y avait tant de choses à faire... Je m'étais retirée assez tôt durant la soirée, laissant les hommes entre eux. Je n'avais pas besoin de me perdre dans la boisson pour me sentir mieux. Lyman n'avait rejoint notre couche que bien tardivement. Mais le retour de Gareth lui avait fait du bien, j'en étais persuadée. Même si Quentyn était resté à ses côtés, le trio était de nouveau réuni et il pouvait compter sur eux pour maintenir le cap. La nouvelle génération de l'Ouest prenait doucement possession du Roc. Et si Jordane demeurait présente en ces murs et restait impressionnante... Le pouvoir n'était désormais plus entre ses mains. Le futur était entre les nôtres.

Je me levai donc aux aurores et m'apprêtais, réveillant une servante au passage. Je me serais bien préparée seule mais... Désormais, j'étais Reine, et je ne pouvais plus vraiment me promener dans le château en toute simplicité, malheureusement. je devais prendre garde à ma façon de m'habiller, de me coiffer, de me maquiller, de me tenir ou de parler... Pourtant, j'enfilai une robe rouge et noire assez simple, me laissais appliquer du fard, et quelques touches de maquillage, pour masquer les cernes en priorité. Je regardai mon fils dormir pendant quelques minutes, passant mon doigt sur sa joue veloutée, lui arrachant un sourire réflexe, mais il ne se réveilla pas.

Je déambulai dans le château qui s'éveillait. Les révérences étaient profondes et respectueuses. Tous ces visages... J'aurais aimé me souvenir de chacun d'entre eux, mais c'était difficile dans la valse constante de serviteurs. Pourtant... Chacun pouvait être un traître, payé pour assassiner l'un de nous. Je frissonnai à cette pensée pessimiste. Mais je ne pouvais me fier réellement à personne. J'avais des amis chers et loyaux pourtant. Du moins, je le pensais... Lynara et Alys qui faisaient partie de mes dames de compagnie. Megara, ma belle-soeur, qui était aussi adorable qu'intelligente et prévenante... Et puis, il y avait Quentyn et Gareth.  Et je ne comptais pas les sujets loyaux, comme Marpheux ou Potter...

Par hasard, mon regard accroché une silhouette familière et mon cœur se réchauffa quelque peu à sa vue. Je n'avais pu lui témoigner toute mon affection hier. Les circonstances ne s'y prêtaient pas. Quand j'approchai, il s'inclina cérémonieusement. Je le toisai. Je devais m'habituer à ça... "Lord Kenning." Je répondis un peu froidement, reprenant sur le même ton : "J'ai vu des révérences plus profondes." Surtout de la part des serviteurs, mais aussi de quelques courtisans. Pourtant, quand il m'observa et se retourna, je compris qu'il n'y aurait pas davantage de protocole entre nous qu'il y en avait eu jusqu'ici. En général, on ne me tournait pas le dos de façon si désinvolte. Plus depuis récemment. "C'est en effet étonnant." Qu'il soit debout à cette heure.

Mon regard accrocha le verre qu'il termina d'une traite et se fit désapprobateur alors que je pinçai les lèvres. Il avait du cuver. Mais comment lui en vouloir ? Il aimait beaucoup Loren. "Il y a eu plusieurs journées de ce type depuis la mort du roi Loren. Et il y en aura d'autres encore." J'avais répondu d'un ton assez détaché, c'était notre quotidien depuis plusieurs jours. La première fois en ces murs pour lui. Avant de reprendre : "J'ai bon espoir que bientôt, ces journées soient attendues avec impatience et non redoutées." Je plissai le nez : "Alors pourquoi le terminer ?" Mais je cillai un peu quand il me demanda comment j'allais... En m'appelant par mon prénom. Simplement mon prénom. Je détournai le regard à mon tour et m'accoudai à la balustrade. "Comme une usurpatrice." J'avais lâché cela naturellement. "J'ai l'impression d'endosser un rôle qui n'est pas pour moi... Je suis née princesse, j'ai épousé un prince, je savais que ce jour viendrait... Mais pas si vite, pas ainsi. Pas dans ce climat de suspicion et de traîtrise. Me voilà Reine de l'Ouest... Je suis partagée entre la peur et l'espoir." Peur de ne pas être à la hauteur. Espoir de l'être et de faire de grandes choses pour l'Ouest. De prouver ce que je valais. "Je ne sais toujours pas qui a commandité le meurtre de Loren. Et ce ne sont pas ces quelques mises à mort qui ont permis à la justice d'être rendue."

Je devrais probablement aller dormir. Sûrement même. Serrer Meg dans mes bras et accepter que cette journée se termine enfin. Mais, alors que je ne me suis pas encore décidé, je vois Jeyne déambuler à son tour dans un château qui s’éveille à peine. Enfin, pas déambuler. C’est une reine après tout. Elle ne ferait pas ce genre de choses. Si elle a dû avoir son content de révérences et de mots creux depuis qu’elle tient son nouveau rôle, je ne peux m’empêcher de faire de même, ajoutant tout de même cette pointe d’impertinence qui nous a permis de nous lier depuis le début. Et qui m’a valu quelques sourcils froncés bien entendu.

Je m’attendais à ce ton froid et, à sa réplique, je souffle, pragmatique. « Toutes mes excuses mais, si je m’incline plus bas, je tombe. Et déjà que je ne suis guère crédible, ce serait encore pire. » Je finis par me détourner d’elle et par m’appuyer sur le muret, non sans un soupir. « J’aime bien être là où ne m’attend pas. Cela permet d’éviter de trop se noyer dans le protocole. » Parce que c’est un peu ce qui va finir par nous arriver à la longue. Et je n’en ai pas envie. Surtout pas avec elle ou avec Lyman. Mais je gage qu’ils le savent tous les deux. «Cela va vous surprendre, mais je viens souvent ici au petit matin. Quand Meg dort encore. Comme ça, je peux revenir avec les fleurs qu’elle aime pour son réveil. » J’ai un sourire avant de reprendre, d’un ton songeur. « Cela sonnait un peu moins niais dans ma tête. Mais peu importe. »

Et oui, ce vin est vraiment encore plus mauvais que lorsque la soirée a débuté. J’aimerais pouvoir dire qu’il me fait oublier le poids que j’ai sur le cœur mais ce serait mentir. « Il y a eu beaucoup trop de journées de ce type depuis que j’ai appris la nouvelle. C’est comme si ça ne finissait jamais. Tous ces regards rivés sur nous en attendant le moindre faux pas. » Je fronce les sourcils avant de hocher la tête. « J’espère que l’avenir vous donnera raison. » Et à sa question, je souffle, le plus naturellement du monde. « J’avais bon espoir que de finir ce vin me ferait oublier que j’ai perdu mon père de substitution après avoir perdu le vrai il n’y a pas si longtemps. Et que j’ai aussi peu le droit de m’effondrer que pour Nymeria. Mais autant vous dire que ce n’est pas aussi efficace que je l’aurais cru. Et je déteste gâcher du vin, aussi mauvais soit-il. »

Je finis par lui demander comme elle va et, quand elle utilise le mot usurpatrice, je ne suis guère surpris. Elle avait besoin de le dire à haute voix, sans personne pour la juger. De pouvoir s’épancher auprès d’un ami. Ce que je suis depuis le temps. J’ai un bref hochement de tête quand elle continue, me contentant de souffler un « je vois» avant de laisser un silence s’installer entre nous. Et de finir par souffler, d’une voix douce. « J’aurais aimé que vous ayez plus de temps. Pour réaliser que c’est votre rôle. Malheureusement, vous allez devoir composer avec plus de… difficultés. » Que ce soit son jeune âge, le fait que Westeros soit en guerre ou encore la simple présence de Jordane. C’est beaucoup, même pour quelqu’un qui a les épaules de Jeyne. « Je ne vous ferais pas l’affront de vous dire que tout se passera bien. Ce ne sera probablement pas le cas. Mais j’aimerais vous rappeler quelque chose Jeyne. » Je me redresse un peu, me faisant plus sérieux. « Vous n’êtes pas une usurpatrice. Vous êtes la première Reine devant qui j’ai ployé le genou, alors ne me faites pas regretter mon geste. » Je lève un sourcil avant de reprendre, toujours sur le même ton. « Et vous n’êtes pas seule. Vous ne le serez jamais. Vous aurez toujours de l’appui pour vous aider à être la Reine dont l’Ouest a besoin. »

Quand elle évoque le meurtre de Loren plus clairement, je me fige un peu, sentant mes mâchoires se contracter. « … je me demande si on le saura vraiment un jour. Et quand bien même nous le saurons, ça le ramènera pas. Rien de ce qui pourra être fait ou dit ne sera suffisant. »

Je fus un peu surprise de la réponse de Gareth et je dus me retenir de ne pas sourire alors que sa réplique m'amusait. Quand bien même je désapprouvais l'ivresse. Cela me donnait des envies sadiques de faire du bruit et être insupportable, juste pour lui passer l'envie de réitérer. Mais premièrement, c'était une technique qui ne fonctionnait pas très bien et deuxièmement, au vu des circonstances, je serais une horrible sorcière que de vouloir le punir d'avoir tenté de trouver une échappatoire à la réalité dans la boisson. C'était un oubli temporaire et illusoire, mais souvent utilisé, malheureusement. Il me confia alors aimer surprendre, pour échapper au poids du protocole, qui ne manquera pas de nous écraser au fil du temps, surtout maintenant. Lyman et moi avions désormais un statut autrement plus important que prince et princesse... Dans ces conditions, l'amitié s'avérait bien fragile. Et même une faiblesse pour les plus opportunistes. Pourtant, cela ne m'empêchait pas de me fier à quelques personnes dans cette cour étrangère dont je devenais la reine. Et cette fois, je laissais échapper un rire alors qu'il avouait venir ici parfois afin de ramener des fleurs fraîches à son épouse. "Oh mince... Un romantique." Étonnant de sa part d'ailleurs. Parce que Gareth avait été un sacré coureur de jupons. On ne se serait pas attendu à ce qu'il décide d'offrir ce genre d'attention à sa femme. Qu'il n'avait pas choisi. Mais qu'il semblait avoir appris à aimer. Cela allait au delà du respect.

Je haussai cependant un sourcil tandis qu'il se montrait plutôt pessimiste, maudissant ces regards portés sur nous. Et encore, il n'était pas la cible prioritaire de toute cette attention... Il était ouestrien, ce n'était pas un étranger, ni un hérétique, ni le fils d'un ennemi, lui. Juste un parvenu. "Au final, qui peut réellement s’octroyer ce luxe ?" Même les enfants de Loren ne pouvaient pas réellement s'effondrer, n'est-ce pas ? On attendait autre chose des Lannister. On attendait davantage de noblesse de la part de la royauté. Les états d'âme étaient pour l'intimité. Mais là où je pouvais épauler Lyman et le soutenir, alors que la mort de Loren me touchait, pas pas de façon aussi violente, Gareth devait être là pour Megara, sans vraiment pouvoir s'épancher à son tour. Mes états d'âme n'étaient pas du même ordre. C'était l'avenir qui me préoccupait avant tout. La sécurité de ma famille, de mon fils, notamment. C'était intolérable que l'on puisse ainsi perpétrer un assassinat au sein de Castral Roc sans en être inquiété, alors qu'il n'y avait nulle trace du commanditaire...

Et pourtant, je répondis assez sincèrement à la question de Gareth. Je me sentait illégitime dans mon rôle, tout simplement. Et je développais pourquoi ensuite. "Effectivement. Les choses se déroulent rarement comme prévu." Mais pouvions-nous jamais être prêts à ce genre de choses ? La passation de pouvoir passait forcément par la mort du monarque en place. Lyman et moi étions encore jeunes et Loren avait été dans la force de l'âge... De belles années de règne l'attendaient encore, aux côtés de Jordane. En théorie. Et je marquai un temps de surprise quand il m'avoua avoir ployé le genou devant moi... Que j'étais la première reine pour qui il le faisait. "Mais... Vous n'avez pas agi de même avec Jordane ?" La relation entre les deux n'était pas la même, mais Gareth était un fidèle sujet de la couronne depuis toujours. Et je souris quand il me réconforta en m'assurant de son soutien inconditionnel. "C'est vrai... Les nuages actuels ont tendance à obscurcir mon jugement." Et me faire oublier que j'étais bien entourée.

Je voilai alors le visage de Gareth en évoquant le meurtre de Loren... Et l'absence de réel coupable. C'était une frustration pour tout le monde. "En effet, mais qu'un crime reste impuni me rend folle de rage. Et d'impuissance. Rien ne le ramènera, mais punir les coupables sera un réconfort pour ceux qui demeurent. Et un soulagement de savoir de qui nous devons nous défier... Non ?" Cette incertitude était insupportable. Nous en revenions à nos discussions passées. Avais-je une mentalité différente d'eux en réclamant vengeance aussi ardemment ?

Je suis encore parfois surpris de la facilité avec laquelle des liens se sont tissés entre elle et moi alors que, ne nous leurrons pas, les choses ne partaient particulièrement du bon pied. Que ce soit sa situation, le mensonge dans lequel Lyman et moi étions empêtrés ou cette capacité que j’avais jusque-là, à ne voir les jeunes femmes que comme d’éventuels jupons à retrousser. Je ne pensais pas que notre voyage dans le Nord changerait tant de choses. Mais, au fond, ce n’était qu’une étape de plus pour nous préparer à cette journée. Sauf que je n’en avais pas la moindre envie, comme la plupart des gens que je côtoie je suppose. Et je suis incapable de dire si nos bases sont assez solides pour que l’on s’appuie dessus sans hésiter ou si tout va s’effondrer d’un bloc. Je me rends vaguement compte que j’ai bien trop bu pour pouvoir réfléchir correctement à ce genre de choses. Surtout qu’au final, le rire de Jeyne me fait oublier, l’espace d’une seconde, ce qui se passe. Et je souffle, d’une voix douce. « Je ne pensais pas que ce serait aussi agréable de vous entendre rire votre Altesse. » Mais je retrouve bien vite un semblant de malice pour ajouter, non sans hausser une épaule. « Romantique ? Possible. J’essaie surtout de lui rappeler qu’elle n’est pas uniquement une Princesse noyée sous le protocole et le sens du devoir. Qu’elle peut être juste… Meg. » Mon regard se perd un instant dans le vide alors que je suis persuadé qu’elle devrait comprendre mieux que personne ce que je veux lui dire.

Au reste, j’ai un soupir, le fil de mes pensées se dénouant plus facilement que je l’aurais cru. Mais avec Jeyne c’est facile. Je me sens parfois plus proche d’elle que du reste des Lannister. Probablement parce que notre place est atypique, chacun à notre façon. Et que, parfois, elle se sent aussi peu légitime que moi pour certaines choses. « Personne. Et c’est bien le problème. Tout le monde doit se montrer fort, résolu et tourné vers l’avenir. Sans pour autant donner l’impression de ne pas avoir de cœur. » Je louche sur le fond de mon verre avec une grimace, avant de reprendre, un peu amer. « De toute façon, il y a aura toujours nombre de gens pour critiquer la façon de faire de la famille royale. Et je n’aurais jamais assez d’yeux ou d’oreilles pour arriver à savoir si ce ne sont que des commérages ou s’il y a plus grave. » Ce qui me frustre d’autant plus. Je ne me sens pas à la hauteur du rôle qui m’est dévolu et j’ai peur de ne pas pouvoir les protéger. C’est ce que je dois faire pourtant, avec tous les risques que cela comporte. Et ils sont conscients que j’irais jusqu’au bout sans même me poser de question si leur vie était en jeu. Pour autant, dans l’immédiat, j’ai l’impression de ne pas savoir dans quelle direction aller.

Et je hoche la tête quand elle continue, comme si ses paroles n’étaient que le reflet d’une situation qui nous touchaient tous, de près ou de loin. « J’ai quand même toute confiance en votre capacité d’adaptation. Auriez-vous pensé être à même de trouver votre place ici et de devenir amie avec un vaurien de l’Ouest lorsque vous avez appris vos fiançailles avec Lyman ? » Si j’ai une ombre de sourire, je me fais plus sérieux au reste. « C’est difficile à expliquer. Jordane était la Reine, mais parce que c’était comme ça. Si j’ai un profond respect pour elle et que j’aurais obéi à chacun de ses ordres, c’était surtout parce que c’était ainsi que l’on fonctionne. Pour Lyman et vous, c’est différent. J’ai choisi de vous suivre. Lyman, avant même que j’en sois réellement conscient, alors qu’il n’était qu’un bonhomme de quatre ans à peine. Et vous, quand vous m’avez adoubé sans avoir conscience de tout ce qu’il y avait autour. J’ai décidé d’être fidèle à mon Roi et à ma Reine. C’est un choix conscient et réfléchi. Et personne ne me fera changer d’idée. » Je ne suis pas sûr d’être aussi clair que je le voudrais mais c’est une évidence pour moi. Je sais où va ma loyauté et c’est bien la seule chose dont je sois sûr en ce moment. « Quel genre de nuage pourrait vous faire oublier qui vous entoure Jeyne ? » Je la fixe un instant, surpris. Elle qui, pourtant, sait à quel point son entourage proche ne faillira jamais à la soutenir.

J’inspire longuement à l’évocation des meurtriers de Loren et je garde le silence quelques instants à ses propos. « En effet. Ce serait probablement un soulagement. Sauf à découvrir que les assassins ne sont pas ceux qu’on pouvait imaginer. Et le mal serait encore plus grand. J’ai envie de voir leurs têtes plantées sur des pics pour ce qu’ils ont osé faire. Quand bien même je sais que cela diffère un peu des méthodes ouestriennes. Et si je peux les tuer de mes mains, je le ferais. Pour autant, j’ai peur de tout ce qu’il y aura derrière. » Parce que, plus nous gratterons, moins j’ai l’impression que ce que nous trouverons me plaira.

Mon rire fut éteint par la surprise aux paroles de Gareth. Je l'observais, l'étonnement se lisant clairement sur mon visage bien trop expressif. Il ne l'était pas quand j'étais froide et que je me retranchais derrière mon statut de native du Nord, mais quand j'étais avec des proches et que je n'avais pas à prendre garde, j'étais un vrai livre ouvert. Gareth devait être bien affligé pour que cela lui semble agréable... Mais il était vrai que les derniers évènements avaient étouffé les rires qui semblaient alors mal placés quand la royauté était en deuil. Et pourtant... la vie continuait. Et encore une fois, alors que je me retrouvais seule avec lui et qu'il faisait preuve de ce genre de sincérité, je me faisais la réflexion qu'il était aisé de tomber sous son charme. Qu'il souhaite séduire sciemment ou qu'il se montre simplement tel qu'il était, le résultat était là. Je souris légèrement, amusée par cette réflexion. Comme le fait qu'il se montre étrangement romantique avec son épouse. C'était un mariage de convenance au départ, même s'il avait du respect pour Megara. mais ce genre d'attention.... Rien ne l'y obligeait. Et malgré tout, une part de moi était encore attristée pour Lynara, même si tous semblaient avoir tourné la page... parce qu'il le fallait bien. "Voilà bien quelque chose dont il est difficile de se souvenir. Que l'on soit homme ou femme." Ou que l'on soit princesse ou simplement prince consort. Parce que Gareth semblait s'oublier lui-même dans tout cela.

Mais c'était notre lot à tous et il en convint bien à son tour quand je lui fis la remarque que personne ne pouvait vraiment s'octroyer le luxe de se laisser aller. Ce qui renvoyait une image de force, certes, mais également de détachement parfois mal interprété. Et surtout faux. Je perçus la frustration de Gareth d'ailleurs, à ce sujet, alors que les commérages pouvaient être bien davantage que de simples critiques... Nous étions plongés dans un panier de crabes et il était impossible de savoir si le danger venait de l'extérieur ou s'il était déjà bien infiltré en nos murs. Les Lannister avaient des opposants, leur politique ne plaisait pas à tout le monde. Sans compter qu'il y avait toujours moyen d'acheter une fidélité... "C'est impossible de pouvoir prévoir tous les dangers..." Il fallait se faire à cette idée. Au fait que nous étions faillibles. Que Gareth l'était aussi, quand bien même il se démenerait pour nous protéger. Mais l'espionnage avait ses limites.

Et cette petite entrevue informelle et inopinée me permit de confier également ce qui me tourmentait. Si Gareth craignait de ne pas être à la hauteur de la tâche qu'on lui avait confié, j'éprouvais la même chose concernant mon rang, acquis simplement par mariage et sans que le mérite n'ai quoique ce soit à voir là dedans. Même si sa foi en moi était inébranlable et précieuse. "J'ignorais qu'il y avait des vauriens dans l'Ouest en vérité." J'eus un petit sourire en coin qui se fana une fois encore sous le coup de la surprise, alors que Gareth m'avouait que j'étais la seule reine devant laquelle il avait vraiment ployé le genou, par envie et non par devoir. Et cette révélation avait plus d'impact que je ne le pensais. "Merci." Je ne savais que dire d'autre. Alors je me contentais de le remercier avec émotion. Et quand il me demanda quels nuages pouvaient obscurcir mon jugement, je haussais une épaule : "Le climat de tristesse, de suspicion, les différents malheurs qui s'abattent sur le Roc actuellement... Il y a de quoi perdre un peu espoir en l'avenir, non ?" Et que dire alors que le lion du Roc était mort si misérablement ? Je voulais voir les coupables punis, même si cela ne le ramènerait pas. "Avoir peur de la vérité n'est pas une solution. Vous savez ce que je pense de l'honnêteté. Et pourquoi certaines décisions me hérissent." Même si je les comprenais. Mais que pouvait bien craindre Gareth de la vérité sur l'assassinat de Loren ? Savait-il déjà des choses ? Avait-il des pistes ou hypothèses qu'il ne désirait pas partager encore ? "Pourquoi ce sombre pressentiment ?"

J’ai un léger froncement de sourcils à entendre son rire stopper aussi net et je la fixe un instant en silence avant de souffler, un peu incertain. « J’ai dit quelque chose que je n’aurais pas dû ? Si c’est le cas, j’en suis désolé Altesse. » Et j’attends quelques instants, mon verre vide à la main, songeant que j’aimerais bien le remplir finalement. Mais je suppose qu’elle risque de froncer les sourcils et de se montrer fort mécontente si je le fais. Et si je me suis fait malicieux quelques instants, j’ai un bref soupir au reste, fixant les alentours avant de finir par m’adosser contre le rebord de pierre. « C’est aussi mon rôle. En tant qu’époux. De lui rappeler qui elle est. Et quand ça ne suffit pas, je vais chercher les garçons pour les déposer dans notre lit, c’est une méthode qui a montré son efficacité plus d’une fois. » Je dois lui paraitre un peu idiot à agir de la sorte, surtout qu’elle vient du Nord où les guerriers sont d’une trempe bien différente de la mienne. Mais je ne risque pas de changer dans l’immédiat.

A ses propos, alors que je sens la frustration reprendre le pas sur le reste, je grimace avant de secouer la tête. « C’est bien ce qui est rageant. Que ce soit impossible. Mon rôle est de veiller sur vous et il n’a fait que s’accroître depuis que tout cela est arrivé. Mais j’ai le sentiment d’échouer lamentablement Majesté et je vous garantis qu’il n’y aura pas assez de vin dans le royaume pour le faire disparaitre. » Je ne devrais probablement pas me livrer autant. Après tout, je dois être fort pour la famille royale non ? Sauf que je fatigue, que j’ai trop bu et que je n’ai pas dormi. Pire que tout, je suis en confiance avec Jeyne et il m’arrive de dire des choses que je ne confierais pas à d’autres. Et je suis incapable de dire si c’est une bonne chose ou pas. J’ai un profond soupir à cette pensée, me pinçant l’arête du nez alors que je commence à avoir sérieusement mal au crâne.

Mais j’essaie de me remettre les idées en place alors qu’elle continue, qu’elle me confie ce qui la tracasse. J’ai un sourire qui se fait plus large à sa répartie. « Je suis peut-être un exemplaire unique, allez savoir. Mais vous ne répondez tout de même pas à ma question. » Je ne pensais pas que le reste des mes propos la troublerait autant. Et je me contente d’un bref haussement d’épaules quand elle me remercie. « Il n’y a pas de quoi. C’est… juste la réalité. » Rien de plus. Même si je suis bien conscient que mes propos ont quelque chose d’hautement symbolique, surtout pour elle, en cet instant. Je grimace tout de même alors que nous continuons d’échanger et mon regard se perd un instant dans le vide avant que je ne me décide à lui répondre. « Je… je ne veux pas. Perdre espoir en l’avenir. Pas avec Martyn ou les jumeaux. Pas avec tout ce que nous devons faire pour eux. Même si c’est plus facile de se dire que tout va mal et que ça n’ira pas en s’arrangeant, ce n’est pas ce que je veux qu’ils voient. » J’ai du mal à trouver mes mots, plus que d’habitude, mais je gage qu’elle comprend pourquoi. Je me frotte le visage avant de hocher la tête. « Je sais bien que ce n’est pas une solution. Mais qu’aurait le Roc à y gagner si nous devions arrêter quelqu’un qui se reconnaissait comme un soutien inébranlable du Roi ? L’honnêteté est une chose. Préserver le royaume et notre famille en est une autre. » Je sais qu’elle ne risque guère d’apprécier ce que je dis, pas plus que le reste. « Parce que personne n’avait rien à gagner dans cette histoire. Absolument personne. » Et c’est ce qui me dérange encore plus que le reste.

"Non, bien sûr que non, je suis juste... déroutée. Par votre sincérité." Même s'il l'était relativement souvent avec moi, cela n'en demeurait pas moins surprenant quand cela arrivait. Surtout en comparaison de son attitude avec d'autres personnes de l'Ouest. "Et je n'avais pas pris conscience que mon rire était si rare." Mais les temps qui couraient ne prêtaient pas vraiment à rire n'est-ce pas ? Il montrait des facettes insoupçonnées finalement. Son mariage de raison évoluait en une histoire d'amour et il semblait chérir Megara. Cela transpirait dans ses paroles ou l'adoucissement de sa voix quand il parlait d'elle. De sa façon de lui rappeler qu'elle était une femme avant d'être une princesse. Une épouse. Une mère. J'avais l'impression que Gareth jouait auprès d'elle, le rôle que j'endossais volontiers pour mon propre époux. Lyman et Megara n'étaient pas frère et sœur pour rien.

Très vite, les soucis de notre situation nous rattrapèrent alors que nous évoquions les dangers qui nous guettaient et que nous ne savions comment identifier. Il était impossible de se prémunir de tout, surtout avec si peu de renseignements et d'informations. Je pinçai pourtant les lèvres quand Gareth avoua son impuissance et la tentation de noyer sa frustration dans le vin. "Le vin n'est pas la solution. Il vous faut garder l'esprit clair. L'embrumer de la sorte ne servira pas les intérêts de la couronne." Il fallait qu'il soit vif et alerte et si je pouvais comprendre la tentation de chercher l'oubli dans ce genre de plaisir éphémère, je ne l'approuvais pas. Je préférais affronter l'échec que de le fuir. Et je ne pouvais m'offrir de fuir dans la boisson mes propres tourments... j'avais également énormément de doutes sur mon futur rôle à jouer et si je serais à la hauteur de la tâche. Mais je ne pouvais que puiser de la force dans mes réserves et dans les gens qui m'entouraient et croyaient en moi afin de prouver à tous ce qu'être une louve signifiait, même en territoire hostile. C'était la perspective de relever le défi et d'en imposer à mes détracteurs qui prévalait sur tout.

"Non, je ne l'imaginais pas." Comme quoi, la vie était pleine de surprises n'est-ce pas ? Comme le fait qu'il m'avoue avoir juré fidélité à ma personne par envie et non par devoir. Je prenais conscience qu'il croyait en moi, qu'il appréciait la personne que j'étais. Et que j'avais donc une place de choix dans son cœur, contrairement à Jordane à qui il obéissait... Même si il m'apparaissait presque certain qu'entre deux ordres, il suivrait les miens. Et cela me galvanisait. Si seulement les autres sujets de ce royaume avaient ce même sentiment de loyauté. Est-ce que cela suffirait à affronter ce qui nous attendait ? Je voyais beaucoup de noirceur sur notre route. Et je fus heureuse de l'entendre répliquer qu'il ne souhaitait pas perdre espoir. "Nous sommes d'accord... C'est assez incroyable comme la présence d'enfants nous pousse à nous transcender, non ?" Mais le fait qu'il puisse craindre la vérité m'interpela. Et le mécontentement passa sur mon visage alors qu'il se rangeait du côté du bien du royaume... Quitte à cacher la vérité afin de préserver l'intégrité des Lannister. "Personne... Sauf un de nos "fidèles" sujets ? Sauriez-vous des choses que vous tenez encore secrètes ?"

Je la fixe un instant, laissant filer un silence avant de hausser une épaule. « Nul doute que les gens avec qui je suis sincère se comptent sur les doigts d’une main. Je ne sais pas si vous devez être flattée ou dérangée mais… » Au final, ça n’a guère d’importance. Après tout, elle sait déjà que je ne me comporte pas avec elle comme je pourrais le faire avec d’autres jeunes femmes du royaume, qu’elle soit ma Reine ou pas. « Je ne vous demande pas de rire aux éclats, surtout en ce moment. Mais je pense que Lyman aura besoin de voir qu’il y a toujours… de la vie autour de lui. Et ça l’aidera. » Je n’en ai pas le moindre doute.

Penser à Meg me fait songer que je devrais la retrouver. Même si je suis dans un état pitoyable, je sais qu’elle aura besoin de quelqu’un qui la prenne dans ses bras à son réveil et qui lui rappelle qu’elle n’est pas seule. Peut-être en ai-je d’ailleurs tout autant besoin qu’elle. Je ne peux m’empêcher tout de même d’esquisser un sourire mutin à voir Jeyne pincer les lèvres. « Oh, j’en suis bien conscient. Mais je reste un ouestrien, toujours enclin à chercher les solutions les plus faciles et les moins désagréables. Même si celle-là reste lourde de conséquences, surtout pour la journée à venir. » Mais elle sait aussi que, lorsque ce sera le moment, je serais aux côtés de Lyman, aussi lucide et sobre que possible.

Et j’ai un sourire plus franc à son attention. « Vous le savez maintenant. Je sers la couronne, quelle que soit la personne qui la porte. Mais ma loyauté va à vous. Et à Lyman. » Dans cet ordre ? Difficile à dire en vérité et je préfère ne pas me poser la question. L’attachement que j’ai pour Jeyne est pour le moins atypique et la Reine que j’ai pu entrevoir au premier jour de notre rencontre m’a donné envie d’être à son service dès le départ. Alors que Lyman est mon meilleur ami, mon frère, c’est encore une autre relation parfois plus délicate à définir et à gérer. Et j’ai beaucoup trop bu pour réellement songer à tout cela de manière rationnelle. Je hoche doucement la tête à ses propos, avant de souffler, d’une voix douce. « Ils sont ce qu’il y a de plus important maintenant. »

Au reste, j’ai forcément un sourire sans joie à sa mine mécontente. Et je souffle, à mi-voix. « Jeyne, il y a bien des choses que je garde secrètes. Pour le bien des Lannister. Et je mourrais avant que ces secrets puissent porter préjudice à l’un d’entre vous. » Je tuerais aussi pour ça, sans la moindre hésitation. Et au regard que je lui lance, je pense qu’elle ne peut pas avoir le moindre doute à ce propos. Mais je me contente d’ajouter, alors que le soleil commence à monter dans le ciel. « Je dois rejoindre Megara. Je ne veux pas qu’elle se réveille toute seule. » Je m’incline devant elle, tanguant légèrement, avant de lâcher, dans un murmure, juste avant de m’éloigner. « J’espère que votre règne sera long et prospère Jeyne Lannister. » Dans tous les cas, elle pourra toujours compter sur moi.