Il était curieux de rencontrer ce Valois. Même si la diplomatie n'était vraiment pas son rayon, il avait conscience que la situation de Dorne était trop précaire pour ne pas devoir endosser un rôle qui n'était pas forcément le sien. Ils avaient trop peu d'alliés et si ils pouvaient gagner les Valois à leur cause... Ce serait tout bénéfice. Même si le Val ne semblait pas enclin à s'engager dans un conflit militaire. Mais Lancehélion avait besoin de commerce. Dorne avait été étranglée par les blocus. Dorne n'était pas sortie victorieuse de son conflit, loin de là, mais elle pouvait désormais souffler et tenter de se reconstruire... En attendant le prochain conflit. Car nul dornien ne pourrait laisser l'affront du Bief impuni. Aucun ne pouvait s'estimer heureux d'avoir du abandonner des terres à son vorace voisin. Sans compter le fait d'avoir perdu Arianne... Réclamée par cette raclure de Hoare. Et abandonnée entre ses mains. Rien que d'y penser le prince bâtard avait le sang qui bouillonnait.

Les coups frappés à la porte le sortirent de sa lugubre introspection quant à la situation, alors qu'il autorisait à entrer et voyait se présenter devant lui un homme bien plus âgé et sans doute expérimenté. Il avait intérêt à faire attention à ses paroles. Même si sa réputation l'avait probablement devancé et que Lord Baelish ne devait pas s'attendre à avoir un débat passionné et d'âpres négociations avec un économiste de génie. Anders aperçut la bouteille dans les mains de son invité et se fendit d'un franc sourire. Le bâtard des Martell aimait les bonnes choses et les plaisirs simples. Discuter autour d'une bonne bouteille était un de ces plaisirs. Même si cela ne lui ferait pas baisser sa garde. Et qu'il se montrerait franc avec le lord valois.

"Messire Baelish, bienvenue, installez-vous donc." Il fit signe au serviteur d'approcher, afin de les servir tous les deux. Anders prit place sur un siège, face au valois, tandis que les coupes se remplissaient de liquide carmin. Un petit geste de la main et ils se retrouvèrent seuls. Il pouvait s'occuper de gérer la boisson par la suite. Il était un soldat avant d'être un noble après tout, surtout après les deux dernières années. "Alors, comment se passe votre acclimatation ? Avez-vous eu l'occasion de visiter notre capitale et de goûter à ses délices ?" Le sourire en coin du Martell en disait long sur le genre de délices auquel il pensait, en plus de ceux culinaires. Lancehélion était un vivier de beautés exotiques, alors que la capitale s'était ouverte à Essos. Cela devait être fort dépaysant pour un homme venant des Montagnes. On se serait presque cru dans un autre monde en réalité. Quelques fois, Anders se disait que cela lui aurait plu de pouvoir voyager davantage sur les terres de Westeros et de découvrir les différents royaumes la composant. Il avait déjà mis les pieds dans l'Orage et le Bief, mais hormis cela... Il n'avait guère d'expérience.

L'homme en face de lui était davantage un "commerçant". Peut-être avait-il déjà visité toutes les contrées, ou presque et s'amusait-il à négocier pour son jeune roi. Anders ignorait à quel point les Baelish pouvaient être proches de la couronne. Autant lui réserver le meilleur accueil et mettre toutes les chances de son côté.

Le sourire d'Anders se figea quelque peu sous le coup de l'étonnement quand Mereth Baelish lui donna du Altesse. Il n'y était clairement pas habitué. Il était né bâtard et moins que rien et peu étaient les dorniens à le considérer autrement après toutes ces années. Il avait gagné davantage leur respect au cour des derniers mois de conflit en s'illustrant par ses faits d'arme, mais ce n'était pas arrivé avec sa légitimation par Deria, un an et demi auparavant. Il y avait eu du travail et de l'acharnement de sa part pour obtenir un peu de reconnaissance. Et les étrangers ne le considéraient pas davantage comme un prince. Difficile de s'affranchir de l'étiquette bâtard de Nymor. Alors autant dire qu'il était flatté de ce titre de la part du noble valois, même s'il était un brin erroné de son point de vue. "Même si cela me plaît, je me dois de vous corriger... Quand bien même je porte le nom de Martell, je n'ai pas le statut de prince." Il l'avait dit très calmement, même si il y avait une once de regret dans sa voix. C'était agréable d'être considéré.

Il invita le valois à s'asseoir alors qu'il faisait servir le vin ramené et demandait à son invité ce qu'il pensait de Lancehélion et de ses charmes. Son sourire s'élargit à sa réponse, pleine de sous entendus. Dorne était souvent un choc pour les autres royaumes. Surtout ceux qui étaient éloignés. Plus on montait au nord, plus la différence de mœurs était marquée. De climat aussi d'ailleurs. Cependant, Mereth évoquait Braavos, où il avait déjà du se rendre d'après ses dires. Quelle chance. Anders n'y avait jamais mis les pieds. Il était né à Boicytre mais ne conservait aucune souvenir, arraché trop jeune à sa mère et ses racines maternelles. "Vous avez déjà mis les pieds à Braavos ? Je vous envie." Qui sait ? peut-être serait-il amené à y aller lui aussi à l'avenir. Il était encore jeune après tout. Mais pour avoir été présent à Goeville lors des joutes et avoir donc pu mettre les pieds dans le Val, il se doutait que c'était un sacré contraste pour les valois. "J'avoue avoir trouvé Goëville... dépaysante. Et un peu trop froide à mon goût."

Il goûta alors le vin, fin connaisseur et hocha la tête. "Il est très bon. Le Val cache quelques trésors on dirait." Il cachait une reine mère d'une grande beauté déjà. Et du bon vin donc. Et quelques beautés un peu froides qui avaient représenté un défi plutôt intéressant pour le séducteur dornien. "Alors dites-moi Lord Baelish, de quoi vouliez-vous vous entretenir avec moi ?" Dorne avait traversé des mois difficiles, à cause des combats, des blocus, le commerce avait été étouffé. Il pouvait se rouvrir de nouveau. Ils avaient besoin d'échanges. D'alliés. Le Val pouvait-il leur apporter une bouffée d'air ?

Ce fut avec regrets qu'Anders dut secouer négativement la tête aux propos de son invité. Il était bien désolé de le détromper d'ailleurs. Cela allait-il changer la donne ? Lord Baelish allait-il être déçu de ne pas s'entretenir avec une personne de sang royal et simplement mettre un terme à sa présence ici pour trouver un interlocuteur plus prestigieux ? Même sans être prince, Anders avait l'oreille et les bonnes grâces de la souveraine. Et sa totale confiance, aussi étrange que cela puisse paraître après des années à ne pas s'entendre et se chamailler pour tout et rien. Cela s'était apaisé. Les épreuves les avaient rapproché. "Je n'ai aucune prétention au trône et n'en aurais jamais. Voilà pourquoi je ne suis pas prince." Deria avait déjà subi les foudres de certains sujets pour avoir accorder aux deux Sand le nom de Martell. Cela aurait fait un tollé général qu'il soit reconnu prince. Même si il avait fait couler le sang pour Dorne. Le sien et surtout celui de ses ennemis, lui donnant ainsi davantage de légitimité. "Je suis navré que vous vous soyez mépris sur mon rang Lord Baelish. Je comprendrais que vous souhaitiez écourter cette entrevue. Cependant, je suis proche de la princesse, comme un frère et un fidèle sujet peuvent l'être." Il ne pouvait pas être plus clair et honnête à ce sujet. Son avis comptait pour Deria.

Pourtant, cela ne semblait pas déranger Mereth, alors qu'il confiait à son hôte être un jeune noble. Parvenu pour les plus anciennes maisons du Val, bien entendu. Il devait être la cible de bien des jalousies et commérages, surtout alors qu'il s'était hissé dans les hautes sphères du pouvoir. Il avait l'oreille de la reine Sharra et probablement de son fils. Ce n'était pas rien. Et il semblait riche de par son commerce. "Il est heureux de constater que le mérite et la pugnacité sont parfois récompensées." Et que tous les privilèges ne tombent pas tout cuits dans le bec de ceux qui ont juste eu la chance de naître dans des familles aisées mais sans gloire et parfois, sans honneur. Mais au moins, Lord Baelish semblait beaucoup plus accessible à Anders. Et sympathique, même si il l'était déjà d'entrée de jeu. Ce fut bien pour cela qu'il se fendit de commentaires osés concernant les délices de la capitale de Dorne, ce qui n'offusqua nullement son invité d'ailleurs.

Et après avoir évoqué le Val, qui ne semblait pas vraiment trouver grâce aux yeux de Mereth, ils passèrent aux choses sérieuses. Tout en dégustant son vin, Anders écouta attentivement le valois, une lueur d'intérêt brillant dans son regard sombre. Il observa ensuite sa coupe, faisant tourner le vin valois à l'intérieur, songeur.

Maintenant que les choses étaient claires, la véritable entrevue pouvait commencer. Mereth savait à qui il avait à faire et cela ne semblait pas le dérouter le moins du monde. Il semblait être un homme avisé et ambitieux. Sa réponse concernant sa place au sein du Conseil, dans les plus hautes sphères, en partant de presque rien, en était la preuve. Anders préférait ne pas perdre cela de l'esprit. C'était probablement une information capitale pour entrer en négociation avec cet homme politique, ce marchand. Et Anders n'était pas diplomate, ni politicien. Il avait quelques connaissances de par son éducation princière, qu'il devait à la générosité de Nymor, mais il avait un esprit assez basique et était plus à l'aise avec une épée ou une lance à la main. C'était donc un challenge intéressant et stimulant, qu'il était prêt à relever. Avec brio ? Seul l'avenir le dirait.

Si Anders n'avait pas le pouvoir de décider des accords commerciaux ou autres, il était certain qu'il était une voix que Deria écoutait. Si elle faisait la part des choses et prenait ses décisions en tout état de cause, Anders ne s'était jamais privé de donner son avis, même quand la princesse ne le lui demandait pas. S'il avait un avis positif sur la proposition du Valois, nul doute qu'il gagnerait des points auprès de la dirigeante de la principauté. Ce qui intriguait surtout le bâtard, c'était de savoir quel intérêt cela rapportait au Val. Ou à cet homme en particulier. La charité n'était pas une caractéristique des marchands.