L’Empire venait de naître. Dans la douleur et dans le sang, mais il était en marche vers son destin. La capitale tout juste libérée, Fort-Darion, était en plein essor. Des navires venus du Nord, de l’Orage et de Peyredragon y accostaient sans cesse. Nourrir une vaste armée de plusieurs royaumes coalisés n’était pas une mince affaire, et il était clair que la priorité des approvisionnements allait aux vivres… Toutefois, pour qu’un Empire existe et s’impose en tant que tel, il fallait plus que du simple bâti et de quoi sustenter les armées. La Capitale grandissait, mais elle mettrait des lustres à devenir la Cité d’importance que le couple impérial avait rêvée, à l’embouchure du Trident dans la Baie des Crabes. Torrhen et Rhaenys Braenaryon avaient apporté aux royaumes fédérés la force de leurs armées et de leurs idées, la volonté d’unification et avaient doté l’ensemble d’une Constitution, qui devait inscrire dans le marbre les relations internes à l’Empire.

Il n’en restait pas moins qu’au regard de l’extérieur, l’Empire n’était encore qu’un assemblement hétéroclite d’armées usées par de longues campagnes, pourvu d’un trésor de guerre certes conséquent mais rempli de villes pillées et dévastées par les combats, les sièges, et le passage d’armées conséquentes. Il fallait trouver une solution pour en imposer au regard de tous. De quoi rehausser le prestige de la Maison Impériale, et incarner la puissance de cette nouvelle faction par quelque chose qui transcenderait les époques.

L’Impératrice était une artiste, jadis éduquée de façon poussée en arts comme en lettres, pour en faire une épouse cultivée, participant au rayonnement culturel et artistique de Peyredragon. Elle n’avait pas été dame de cour, et son destin l’avait propulsée au firmament. Il n’en restait pas moins qu’elle était toujours adroite avec un fusain, et qu’elle savait s’entourer. Avec des architectes du Conflans et de Peyredragon, elle dessina un audacieux projet. Entourer le golfe de Fort-Darion de statues monumentales incarnant les guerriers de chaque nation ayant contribué à l’Empire. Sur le côte au nord de la ville, un Nordien, barbu, couvert d’un heaume simple, de cuirs, mailles et d’une lourde cape jetée sur ses épaules, épée au côté, bouclier de l’autre. Un cavalier démonté, symbole de l’arme de choc de l’armée Stark. En dessous, un chevalier riverain, fier et altier, le regard lancé vers l’horizon, couvert de mailles et portant le heaume sous le bras. Sur la rive sud, un arbalétrier de Peyredragon, l’air nonchalant, volontaire, arbalète à l’épaule. Puis un piquier de l’Orage, en armure complète, lourde, tenant fermement sa pique sur le côté, en posture de garde. Enfin, un hallebardier impérial dominerait le port en cours d’extension, demie-armure et sallet sur la tête, masquant son regard à l’observateur, en position rigide des honneurs rendus à un quelconque visiteur de l’étranger.

Ces statues monumentales devraient faire à terme plusieurs dizaines de mètres de haut, de blocs détachés des carrières de la Néra, acheminées par des barges côtières. Les travaux prendraient des années, mais les premiers blocs de pierre fut symboliquement posés sur chacun des cinq socles au cours d’une longue cérémonie en guise d’oraison funèbre pour les milliers de victimes civiles et militaires de la guerre.

Dans l’assistance, beaucoup de larmes, d’ivresse, et d’esprit de revanche. Beaucoup de disaient que la guerre ne s’arrêterait pas là ; au sud, les événements se précipitaient sans cesse et d’autres dangers s’élevaient déjà contre l’Empire.