Le regard du Roi est vide. Assis dans son fauteuil, il scrute sur la table un morceau de papier. Le symbole de la maison Arryn est dessus. Livide, Loren ne bouge pas. Ses yeux sont humides. Il est seul, sa femme lui a apporté la missive, puis est repartie. Elle ne montre rien, mais le Lion est certain qu’elle est presque aussi affectée que lui. Le Roi ferme les yeux et plusieurs larmes s’en écoulent. Il plante son visage entre ses mains.

Il semble masser son visage un instant, comme pour faire disparaitre des larmes qui n’ont nullement place sur le visage d’un Roi. Sans succès. Il redresse brièvement le regard, pour fixer la missive. Puis ferme à nouveau les yeux. Il pose ses bras sur ses genoux, courbé, il prie quelques instants. Une bien rare manie pour le libertin qu’est Loren Lannister. Pourquoi la mère avait-elle était si cruelle envers sa famille ? Non, le Roi de l’Ouest n’avait jamais vraiment cru que tout irait toujours bien. Mais… Rien ne peut justifier la mort de la plus jeune de ses filles.

Il prie le père, puis la mère, puis la jouvencelle… Il cache sa colère dans une prière, demandant aux dieux pourquoi lui avoir pris sa fille. Aucun mot pour le moment. Le deuil prendra du temps à se faire, pourtant les affaires ne s’arrêtent pas. La colère du Lion n’a pour l’instant aucun coupable, le Val dit que cela était naturel. Un malheur certain pour le Roi de l’Ouest. Il n’a que ses larmes pour l’occuper. Il ne peut jurer de tuer le responsable, s’il n’en a pas.

Assis là le Roi reste près d’une heure, à adresser aux Sept des paroles, cherchant une raison. L’espoir fou que cela soit une erreur a disparu il a quelques temps. Pourtant, aujourd’hui il a promis de rencontrer la Reine du Bief. Sa main se serre violement. Il a perdu une fille, pas même le temps suffira à effacer la marque qu’il porte sur le cœur. Il se refuse à en perdre une autre, ou à perdre son fils. Il aurait aimé passer cette journée seul, ou avec ses enfants. Mais quelqu’un vient toquer à la porte des appartements royaux. L’heure est venue.

Loren se dresse, se recoiffe et efface de son visage les larmes, ainsi que la tristesse, autant que possible. Il finit de remettre en place son pourpoint et quitte la chambre royale. Les gardes devant sa porte sont sans-doute au courant. Ils ne pipent mot en voyant la mine sombre du Lion. Vêtu tout de rouge et d’or il gagne la salle du trône de Castral-Roc. Sur le trône des Lannister il attend calmement la venue de la Reine du Bief. La rencontre est plus officielle, le protocole est respecté. Pourtant le Roi a du mal en cet instant à être celui qu’il doit être.

« Votre Majesté. Comme j’ai déjà pu vous le dire, c’est un plaisir de vous voir présente à Castral-Roc. Aussi bien en l’honneur de votre défunt mari qu’en celle de l’amitié entre nos royaumes. »

Cette entrevue était importante, politiquement parlant. Il n’y avait aucun doute possible là-dessus.

« J’espère que nous pourrons, ensemble, continuer de bâtir cette route vers la paix et la prospérité que nous avions initié avec feu le Roi Mern Gardener, il y a vingt ans de cela. »

Les politesses furent échangées, un mince sourire forcé naquit sur les lèvres du Lannister tandis que la dernière Gardener complimentait son royaume. Elle évoquait son frère, Manfred Hightower, nouveau Roi du Bief, précisant qu’il serait celui avec qui la paix et la prospérité pouvait être bâti désormais. Le Lion avait eu vent du couronnement de l’ancien ministre de la guerre comme nouveau Roi. Non, cela n’était pas la plus importante nouvelle pour lui, mais il valait tout de même mieux de noter ce fait.

Les Gardener n’était plus, Tricia était la dernière à porter ce nom. Certes, Kevan était toujours vivant. Certes, s’il engendrait des enfants il leur donnerait ce nom. Mais comment reconnaître un homme qui avait trahit son frère ? Les lois du cœur sont difficiles à comprendre, mais une chose était certaine, le frère du défunt Roi du Bief avait perdu son royaume, ses soutiens et sa place à Hautjardin. Il n’avait plus sa place dans le royaume qui l’avait vu naître.

Puis vint le moment difficile. Tricia continua, présentant au nom de son royaume ses condoléances pour la mort de la plus jeune des lionnes. Loren ferma un instant les yeux, retenant ses émotions. La nouvelle était fraiche, difficile à encaisser. Très douloureuse. Bien évidemment, les chefs d’états étrangers présentaient leurs condoléances, mais pour autant évoquer le sujet n’en était pas plus facile. Il y eu un battement de quelques secondes avant que le Roi ne réponde, ne pouvant cacher une mince pointe d’émotion dans sa voix.

« Je vous remercie pour ces paroles. Sa perte est difficile, il n’est jamais aisé de voir l’un des trésors de notre royaume s’en aller ainsi. Et en tant que parent, il n’est pas aisé de perdre un enfant. »

Le Lion renvoya ses émotions au plus profond de lui-même. L’heure n’était pas à cela. Non, il n’était pas simple d’oublier cela. Mais pour le moment, la politique et la diplomatie gagnait le contrôle. Son esprit n’était pas totalement clair avec les récentes nouvelles. Mais le Seigneur du Roc devait faire son mieux, il avait juré de reprendre sa place de Roi et d’être là pour son royaume en ces instants difficiles. Il penserait plus tard à s’assurer que la disparition d’une Lannister est l’œuvre des dieux et non pas d’un vicieux. Car un Lannister paie toujours ses dettes.

Le sujet de la défunte Reine du Val fut passé, le Lion ne souhaitait pas s’y attarder plus. Trop sensible pour qu’il ne laisse le sujet être trop long. Alors le Roi de l’Ouest allait continuer, il y avait bon nombre de sujets à aborder aujourd’hui. Autant aller dans l’ordre. Se redressant sur son trône le Roi de l’Ouest reprit la parole. Sa voix avait perdu l’émotion qu’elle avait un peu plus tôt, pour regagner un ton plus solennel, correspondant à l’importance de cette rencontre.

« Je présenterai à sa Majesté Manfred Hightower mes félicitations en personne, je l’espère. Je dois venir en vos terres rencontre sa Majesté, sous peu. Je regrette les circonstances dans lesquelles il est devenu Roi, mais je ne doute pas un seul instant de sa capacité à régner. »

Il fit une pause, puis continua, reprenant peu à peu sa contenance et son air plus amical.

« Vous êtes encore mieux placée que moi pour le savoir. J’espère sincèrement que ces rencontres aideront à souder le rapprochement initié jadis avec Mern. »

Manfred avait connu l’époque de la guerre contre l’Ouest, même s’il n’était pas aussi influent ou compétent qu’il ne l’était aujourd’hui. Il est impossible d’oublier les conflits d’hier, mais il est possible de passer outre, pour aller de l’avant. C’est ce que le Roi de l’Ouest avait toujours voulu faire.

« Il y a bien des sujets que nous devons aborder et que j’aborderai avec lui, lorsque je le verrais. Je ne doute pas que vous ayez vous-même vos interrogations, mais je pense, pour vous comme pour moi, que le plus important est celui dans lequel votre frère est plongé aujourd’hui. La guerre est votre quotidien. Je sais ce que cela signifie. Et je sais que mon royaume ne peut y échapper éternellement. J’ai protégé cette paix forgée dans le sang pendant 20 ans. Mais aujourd’hui, il devient difficile d’entrevoir demain sans les brumes de la guerre. C’est pourquoi le pavillon Lannister bat aux côtés du votre, dans la mer au Sud. »

Car le Tigre était dangereux, car Dorne n’était pas fiable, car une bête acculée n’est que plus dangereuse. Le Bief était dans une guerre coûteuse contre Dorne et l’Empire, avec la mort d’Harren il n’était plus que quasiment seul dans ce conflit. Et du regard Ouestrien, le conflit devenait trop grave pour être évité.

Tricia était certaine que son frère serait un bon Roi. Bien sur, avait-elle vraiment le choix? Et puis, elle n'aurait pas laissé un incompétent monter sur le trône de son défunt mari. Loren acquiesça donc, sans plus de mots que cela. Il n'y avait nul besoin de préciser plus de choses. Le Lion attendrait de voir en personne le nouveau souverain du Bief pour se forger un avis plus détaillé. L'heure n'était pas à une paix prospère comme le lion avait imaginer des années avant.

L'heure était au soutien entre royaumes, face à des dangers communs trop importants pour être ignorés ou réglés par une seule nation. C'était pour cela que ce genre de moments existaient, que des réunions diplomatiques pouvaient avoir lieu entre les souverains. C'était pour cela que le Roi de l'Ouest, pleurant encore sa fille, accueillait une étrangère et essayait de sortir de ses tourments pour lever la tête.

Calmement le Seigneur du Roc laissa la Reine parler. Elle présenter les royaumes du Bief et de l'Ouest comme plus que voisin. Le Bief souhaitait se rapprocher de l'Ouest, ou tout du moins était-ce là ce qu'on pouvait comprendre dans les mots de la souveraine. Le Lion planta son regard dans celui de la veuve, un air toujours plus sérieux dominant son regard. Au ton de la Reine, ainsi qu'à la concentration de celle-ci il était aisé de comprendre que les prochaines minutes allaient être les plus importantes.

De l'avis de la Gardener, la menace de l'Empire était plus importante que celle du Tigre. Loren plissa les yeux, croisa les mains et attendit patiemment. Aux dires de la représentante du Bief ils craignaient plus l'Empire victorieux que celui arrivant nouvellement à Westeros. Les prochains mots attirèrent particulièrement l'attention du souverain. Une armée Bieffoise allait quitter Dorne, pour rejoindre ce que la souveraine appeler une autre nécessité.

Le regard du Lion oscillait, la Reine, puis le sol. Sur le carrelage de la salle du trône il voyait encore sa plus jeune fille, enfant, jouant avec lui. Un mince sourire nostalgique se dessinait sur son visage, avant que la réalité ne revienne. Discrètement le Lion secoua la tête, chassant de sa tête ses tourments. Ils reviendront plus tard. Mais pour l'heure, il devait son concentrer sur la femme face à lui. Il n'aurait pas eu de mal, en temps normal, à se concentrer sur une aussi belle femme, mais les temps n'étaient pas normaux.

Ce qui se disait ici était important, très important, pour l'Ouest et bien plus encore. Alors le Lion s'efforçait de retenir chaque mot, chaque expression, chaque regard, chaque changement de ton. Il s'efforçait de lire entre les lignes, de voir les hésitations, de noter les remords, les doutes. Il se dessinait dans son esprit le tableau du monde, avec son bien et son mal. En essayant de ne pas y inclure sa fille morte. Rude chose que celle-ci.

Loren n'aimait pas la guerre, ni le jeu de trônes, ni le pouvoir en soit. Mais il se retrouvait maintenant à devoir préparer au pire des gens n'en voulant pas, il devait se tenir droit et dire que c'était ainsi que les choses devaient être. Par les sept, il était plus simple le temps ou il laissait sa femme en charge de chaque détail, chaque mot, chaque action et ou il se contentait de boire, chanter, rire et coucher.

Si le jeu politique de Westeros tournait comme le voyait en cet instant le Lion, alors peut-être y avait-il encore un espoir que cette paix bâtie sur le sang il y a vingt ans ne soit que le prélude à une ère calme et prospère. Cette pensée naïve ne fit pas longtemps dans son esprit. Il était évident qu’amener une telle situation sur tout le continent serait non seulement difficile, mais la faire perdurer le serait bien plus.

Un fils n'agit jamais comme son père. Alors il est difficile de se dire que l'avenir était scellé par les actes des dirigeants d'aujourd'hui. Tout ce qu'ils peuvent faire est de montrer la voix aux héritiers et héritières. Malgré tout certains décident toujours de refuser les chemins tracés. Loren était de ceux-ci, son père avait montré la voix de la guerre, de la violence. Le Lion avait échappé à ce malheur et avait forgé ce que son père haïssait. Loren avait confiance en son fils pour le suivre sur cette voix.

Lorsque Loren avait signé la paix avec feu Mern, il n’avait pas eu l’impression d’enterrer la hache de guerre avec un ennemi, mais de bâtir la paix avec un ami. Ceci n’avait jamais vraiment put se vérifier, l’un comme l’autre voulaient cela. Mais hélas les tensions entre les royaumes avaient été fortes depuis. Malgré tout ce qu’ils avaient construits avait tenu. De tous les souverains que Loren avait rencontrés, Mern était sans-doute celui avec lequel il avait eu le plus de points communs.

Réellement pour le Lion la mort du Roi était un drame, tant il avait confiance en la volonté de celui-ci de maintenir la paix. Certes, Mern Gardener était mort en guerre, mais il avait souffert d’une impardonnable trahison avant cela. S’il était toujours difficile pour le Lannister d’accepter la guerre, il en comprenait la nécessité par moments. Il ne pouvait qu’imaginer ce qu’avait dû ressentir Mern à la trahison de Kevan.

Le temps passait et cette discussion semblait ne pas se tarir, lorsque tant de choses se jouent. Il était difficile au Roi de l'Ouest de se concentrer pleinement, tout comme il ne pouvait pas ignorer l'importance de cette rencontre. Celle à venir avec le nouveau Roi du Bief le serait tout autant, mais pour l'heure, la Gardener avait son attention. Les tensions entre les deux royaumes avaient changés, les tensions semblaient s’apaiser.

Pour laisser place à des flammes plus terribles encore. Aujourd'hui ils avaient l'occasion de s'assurer que ces flammes ne soient qu'un lointain souvenir pour leurs enfants. Alors le Seigneur du Roc s'en assurerait. Les Lannister n'auront pas à subir d'autres pertes que celle de Nymeria. Pour le Lion c'était une certitude, il ne pourrait pas l'accepter.