Les choses auraient pu se passer plus mal. Voilà ce que je n’ai de cesse de me répéter depuis cette foutue cérémonie qui m’a unie à Manfred. J’ai survécu au banquet, à toutes ces réjouissances qui portent fort mal leur nom et nous avons tous les deux survécu à la nuit de noces. Comme quoi, tout peut arriver. Evidemment, je ne suis pas à mon aise entre ces murs et je n’ai qu’une hâte, c’est que nous puissions reprendre la mer. Mais il nous reste quelques détails à régler avant de repartir en direction de Dorne  pour essayer d’apaiser cette soif de sang qui commence à revenir. Il faut dire que j’ai passé beaucoup trop de temps ici et je n’ai pas particulièrement envie d’égorger une servante. Encore que, mon époux apprécierait peut-être le cadeau, allez savoir.

C’est forte de ces pensées pour le moins festives et joyeuses que je croise une des dites petites servantes. Dire que je la terrorise est un euphémisme mais elle ose tout de même s’adresser à moi et m’annoncer que la Reine m’attend dans ses appartements pour prendre le thé. Vraiment ? Il y a donc réellement des femmes qui font cela au beau milieu de l’après-midi. Ma foi, puisque la Gardener a pris le temps de me faire un présent qui me ressemble et qui ne pouvait que me plaire, je me vois difficilement refuser l’invitation. Sans compter que je ne veux pas détruire d’un coup tous mes efforts pour paraitre un tant soit peu civilisée, surtout avec toutes les nouvelles qui ne font que se cumuler petit à petit. Je commence d’ailleurs à redouter l’arrivée du moindre corbeau et je me demande parfois à quel point il ne serait pas plus judicieux de tout abandonner et de vivre de piraterie dans les mers d’Essos. La pensée est plus que tentante et, pourtant, je me retrouve devant la porte de la Reine. Fort heureusement, ils ont abandonné l’idée de me faire porter une robe corsetée et pleine de froufrous. J’ai opté pour un semblant de compromis, délaissant mon armure et portant ce qui pourrait s’apparenter à une robe de basse extraction. Mais cela suffit amplement et je gage qu’ils apprécient l’effort que je fais pour éviter de trop choquer entre les murs de ce château. En dehors, ce n’est pas leur problème et j’espère que personne n’essaiera de me travestir.

La servante qui m’a interpelée me précède dans les appartements de la Reine et je rentre, non sans un regard curieux aux alentours. Le faste des lieux n’a de cesse de me surprendre. Je trouve cela passablement inutile, une perte d’argent. Tout ça dans quel but ? Pour démontrer qu’ils ont de quoi décorer les murs avec des feuilles d’or ? Quelle idiotie. Mes lèvres se pincent mais je m’avance, sans vraiment plus de cérémonie que cela, attendant que la jeune servante prenne ses jambes à son cou pour hocher brièvement la tête dans sa direction.

« Vous ne m’en voudrez pas de ne pas respecter le protocole lorsque nous sommes en privé Majesté. Je n’aime guère les ronds-de-jambe et ce n’est pas le mariage qui risque de changer cet état de fait. » Et je m’assois auprès d’elle, non sans esquisser un sourire. « Du temps, c’est à peu près tout ce que j’ai en ce moment. » Sauf quand je ne suis pas occupée à me faire besogner par votre frère pour avoir un héritier. Tiens, je me demande comment elle réagirait si je lui disais cela à haute voix ? « Je trépigne d’impatience à l’idée de retourner en mer mais nous avons encore quelques jours devant nous. » Je ne retiens pas mon soupir et je reprends, non sans une œillade narquoise. « Venant de n’importe qui d’autre, je m’attendrais à un piège et à une fausse excuse pour aborder un sujet plus important. Mais je vous laisse le bénéfice du doute. Ou, plutôt, je vous laisse me dire tout de suite si vous m’avez fait mander uniquement pour que nous discutions du beau temps et de la relation harmonieuse que votre frère et moi ne manquerons pas d’avoir ou s’il y a autre chose. » Décidemment, cette femme a de la chance. En d’autres temps, j’aurais déjà quitté la pièce en tempêtant. Mais elle a peut-être des informations qui pourraient m’intéresser.  

Je ne sais pas ce que je donnerais pour pouvoir quitter cet endroit et repartir en mer. Malheureusement, les choses ne fonctionnent vraiment pas comme je le voudrais et je sais que j'ai encore beaucoup à faire ici pour travailler sur cette alliance plus que fragile qui lie le Bief et le Conflans. Le fait d'être mariée au frère de la Reine n'était qu'un premier pas qui ne suffira probablement pas, surtout au vu des évènements qui semblent se précipiter autour de nous. J'inspire, m'exhortant au calme alors que je voudrais bien envoyer valdinguer cette théière mais j'arrive tout de même à ne pas opposer un visage hostile à la Reine. A croire que cela fonctionne plutôt bien au vu des propos qu'elle tient. J'ai un hochement de tête, cillant un instant avant de souffler, d'un ton tranquille. "… fort bien… Tricia donc. Voilà qui est pour le moins inhabituel, je dois bien l'avouer. Et oui, c'est un fait, je ne suis pas habituée à passer du temps entre quatre murs. Je sais pourtant quel est mon rôle et je m'y tiendrais le temps qu'il faut." Après tout, ce n'est pas en faisant ma mauvaise tête que les choses avanceront plus vite, quand bien même ce serait bien plus divertissant que ce à quoi je suis confrontée en ce moment. "Des affaires sérieuses ? Voilà qui est pour le moins intéressant." Quant à la relation amicale, autant dire que je suis pour le moins sceptique. Après tout, nous n'avons tout de même pas grand-chose en commun mais, pour le moment, je n'ai pas envie de la contredire. Je préfère l'écouter avec attention, non sans arquer un sourcil quand elle continue.

"Vous n'avez pas à m'admirer. Nous avons été toutes les deux élevées pour occuper des postes et tenir des rôles bien différents. Vous excellez là où je ne suis qu'une piètre élève et chacune de nous doit faire ce qu'elle fait le mieux. Vous êtes une femme habituée à la vie politique, aux décisions qui se prennent dans l'ombre. A vous de faire en sorte d'être la meilleure dans ce domaine, tout comme moi j'ai appris à être la meilleure sur les mers. Vos compétences ne sont en rien limitées Tricia, il faut juste que vous appreniez à utiliser chacune d'elle pour obtenir ce que vous voulez." Reste à savoir ce qu'elle veut vraiment et là, j'avoue, je suis un peu dans l'expectative même si je commence à me demander si je ne vais pas en apprendre un peu plus à mesure que nous discutons. J'ai un bref sourire en voyant qu'elle apporte du vin et je repousse sans hésiter la tasse de thé avec un hochement de tête approbateur. "Vous avez raison, vivre dans le passé n'est pas la solution. Quant à l'avenir, ce qui importe c'est de savoir ce que vous voudriez réellement et non pas ce que vous entrevoyez. Je suis une guerrière, une combattante. Et pourtant, je suis installée en train de boire avec la femme probablement la moins portée sur la guerre que je connaisse. Sans vouloir vous offenser évidemment. Je ne l'aurais jamais cru possible il y a quelques mois de cela. Mais je vous écoute, comment comptez-vous ne plus être une simple spectatrice des évènements ?" Evidemment, je ne réponds pas à ses interrogations. Pas pour le moment en tout cas. Je préfère plutôt savoir ce qu'elle me réserve.
 

L’espace d’un instant, je me demande sincèrement quel est le but de cette entrevue. Que je sois là pour faire plus ample connaissance n’est, à mes yeux, vraiment pas une raison suffisante pour être obligées de nous supporter l’une l’autre. Quand bien même elle semble m’apprécier, autant qu’il est possible de le faire en tout cas. Je prends alors sur moi, me montrant moins brusque que je pourrais le faire en temps normal avec une femme comme elle, une part de moi étant tout de même curieuse de savoir où elle veut bien en venir. Si j’ai un bref sourire quand elle me dit que j’ai raison, je la fixe de nouveau, me faisant plus sérieuse. "La paix n’est plus qu’une illusion Tricia, je pense qu’il va être temps de l’accepter. Vous pouvez essayer de maintenir le calme sur vos terres mais la guerre fait rage à chacune de vos frontières, le mot paix n’a plus aucun sens aujourd’hui."

Je bois quelques gorgées de vin et j’attrape sa missive, la mine un rien perplexe. Avant de d’écouter ce qu’elle commence à me dire.

Je plisse des yeux, la mine curieuse, en direction de ma belle-sœur. Je me demande combien de temps elle pourrait tenir hors de ce château, loin de la protection que son rang et son statut lui apportent. Je sais qu’elle n’a pas été élevée pour ça, qu’elle est cette parfaite Reine qui convient à un pays comme le Bief mais, pour autant, je ne peux m’empêcher de vaguement mépriser tout ce qu’elle représente. Nous sommes si différentes elle et moi alors que, si l’on y réfléchit, j’ai été désignée Princesse bien avant qu’elle songe à devenir Reine. Pourtant, j’essaie de me faire plus diplomate que je ne le suis réellement. Parce que je veux savoir ce qu’elle a à l’esprit et que je dois mettre en place mes propres pions si je veux être capable de contrôler un tant soit peu son frère.