Thalie est encore jeune est veut croire à l’Été Éternel et à la paix, et ce même l’Hiver vient. Comme la plupart de la petite gent, la fillette ne se préoccupe pas vraiment des intrigues politiques des nobles de ce monde, à moins que ces intrigues soient farfelues ou aient un impact direct sur sa qualité de vie. Elle a bien d’autres choses à faire et se soucie davantage de la dure journée de labeur qui l’attend que des mariages royaux. À présent qu'elle habite Winterfell, elle s'est considérablement rapprochée de tous ces curieux personnages qui nourrissaient les discussions insolites des paysans. Pour l'instant, Thalie aimerait croire qu'un petit canard à l'abri dans la tanière des loups est en sécurité, mais l'Hiver n'est jamais très loin: les sauvageons rôdent toujours et seulement trois mois après la victoire contre ces derniers, le roi marche déjà vers le sud, envahissant le Conflans.

Au roi Thorren, Thalie lui est redevable de sa vie actuelle : il lui a donné des vêtements pour remplacer ses haillons, de la nourriture pour remplir son ventre affamé et un toit où s’abriter. En échange, du lever au coucher du soleil, elle s’affaire sans cesse pour transmettre des messages aux uns et faire des courses chez les autres, selon la volonté de l’intendant. Les journées sont longues, dures et astreignantes, mais Thalie n’ose pas s’en plaindre, et personne ne se plaint de son travail. Si elle lui est reconnaissante, la gamine craint presque autant le roi du Nord que les sauvageons. Elle s’inquiète quant au futur incertain qui attend Hazel et Gale, dont elle n'a toujours eu pas de signe de vie depuis des mois.

La guerre l’a déjà touchée. Les sauvageons ont tué sa mère et la plupart des gens qu’elle connaissait et l'ont séparé de sa sœur. Thalie a réagi comme n’importe qui aurait réagi dans pareilles circonstances : elle s'est contentée de survivre. Pour une enfant de onze ans, la seule façon de s'en sortir vivante était de se regrouper avec d'autres enfants aussi apeurés qu'elle et de fuir vers le sud, là où les sauvageons n’avaient pas encore envahi complètement le territoire. En chemin, ils se sont battus entre eux, ils ont mendié, ils ont volé, ils se sont cachés, ils se sont dispersés puis se sont rassemblés, car la nuit est moins froide lorsqu’on est collés les uns contre les autres. Le roi leur a donné un nouveau toit, une nouvelle vie, et ils se sont adaptés. Quand la guerre arrive, il n'y a qu'une chose à faire : peu importe si l'on combat ou l'on choisit de fuir, au final, il faut survivre.

Thalie en a vaguement entendu parler, mais ce dont elle a surtout entendu parler, c'est que le roi du Nord marche vers le Sud pour écraser ce faux roi. Des milliers de Nordiens sont partis conquérir le Conflans et les Jumeaux, ce qui veut dire qu'un certain nombre d'entre eux ne reverront jamais la terre où ils sont nés. Si Hazel et Gale sont toujours en vie, ils auront marché vers le Sud pour y faire la guerre. Désormais orpheline, il ne reste à Thalie que sa soeur, et chaque jour elle prie les dieux, les anciens et les nouveaux, ainsi que le roi Thorren Stark, pour qu'ils lui ramène Hazel saine et sauve.
     

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Quand leur père mourut et que leur mère refusa de se lever du lit, il était à prévoir que les deux fillettes, Hazel, onze ans, et Thalie, six ans, allaient en souffrir. Si, à mesure que les semaines passaient, Hazel perdit foi en leur mère comme s'évapore un nuage de vapeur dans la froideur du matin, Thalie ne perdait pas espoir qu'un jour, leur mère leur reviendrait. Chaque jour, Thalie lui brossait les cheveux avec une infinie douceur; chaque nuit, elle se réfugiait sous les couvertures contre la chaleur de leur mère. Auparavant, celle-ci avait coutume de leur raconter une histoire au coucher. L'histoire favorite de Thalie était sans doute l'histoire du chasseur et de la jouvencelle. Leur mère avait l'habitude de débuter l'histoire comme suit :

| Il était une fois, une jeune fille qui était la fille d'un noble seigneur. Elle vivait dans une forteresse près d'un lac en compagnie de ses frères et soeurs. De la maisonnée, elle était l'enfant qui  passait le plus clair de son temps en compagnie du maester qui servait sa maison depuis des années, car sa soif d'apprendre était insatiable. |

Leur mère était la guérisseuse du village. Elle avait usage d'entretenir un jardin avec des plantes qui pouvaient faire disparaître plusieurs maux. Contrairement aux autres, elle savait lire, écrire et compter, savoirs qu'elle inculqua à ses filles ainsi qu'à un certain nombre d'enfants et de paysans. Il semblait que leur mère avait su se satisfaire d'une vie modeste. À son arrivée au village, elle s'intégra sans mal à la communauté et s'avéra appréciée pour ses connaissances. Malgré tout, personne ne sut avec précision d'où elle venait et comment elle s'était instruite.

| Un jour, alors qu'elle se promenait sur les terres de son père, elle entendit une voix si belle que même les oiseaux s'étaient tus pour l'écouter chanter. La jeune fille s'enfonça dans le bois-aux-loups pour trouver à qui appartenait un si bel instrument et tomba nez-à-nez avec un jeune chasseur aux yeux d'argent, à la peau mate et aux boucles foncées. |

Hazel retenait de leur père. Physiquement, elle lui ressemblait : elle avait hérité de ses cheveux foncés, de sa peau mate et de ses yeux gris perçants. Petite, Hazel se faisait passer pour un garçon en s'habillant de manière correspondante, au grand dam de leur mère. Mais leur père, à défaut d'avoir un fils, lui enseignait tout ce qu'il connaissait de la forêt et de la chasse, emmenant sa fille aînée avec lui partout où il allait, même si la profession qu'il exerçait n'était pas appropriée pour le sexe faible. Ils étaient complices, tous les deux, et leur mère abandonna rapidement l'éducation d'Hazel aux soins de son mari.

| Lorsqu'il apprit que sa fille était tombée amoureuse d'un roturier, le seigneur entra dans une violente colère. « Je t'interdis de revoir ce paysan, » lui dit-il, car il comptait la marier à son plus loyal chevalier. |

Thalie retenait de leur mère. Elle avait la même blondeur, la même pâleur, les mêmes yeux bleus et les mêmes traits délicats propres à leur génitrice.

| « Pars et renonce à ton nom, à ta famille, à ton honneur. Pars et qui tu étais jusqu'alors cessera d'exister. Ma fille sera morte et la paysanne qui porte ses traits, une étrangère. » Et par amour pour un chasseur, elle renonça à tout, à son nom, à sa famille et à son honneur. |

Leur mère avait aimé leur père d'un amour absolu et la disparition de cet amour avait nécessairement engendré une détresse absolue. Si Hazel ne pardonna jamais à leur mère cette faiblesse, Thalie ne lui en tenait pas rigueur. Après tout, la fillette avait été très jeune et ce n'était pas sûr elle que toutes les responsabilités avaient échoué.