J’effleure distraitement le fil de ma lame, mon regard s’attardant sur le sang qui perle au bout de mon doigt. Elle est suffisamment affûtée pour que je n’aie pas à m’en soucier en plein cœur de l’action. A dire vrai, dans ces moments-là, j’ai tendance à m’en moquer totalement, d’autant que la plupart des hommes que je transperce ne semblent guère bien solides. Pas suffisamment pour que j’ai des difficultés à enfoncer ma lame dans leur chair en tout cas.

« Les boutres Harloi sont en vue Cap’taine ! »

Je lève un œil en direction de mon second, esquissant un mince sourire à son attention. En théorie, je suis là pour leur dire de calmer un peu le jeu, de nous regrouper et d’aller viser un plus gros gibier. Mais, pour être parfaitement honnête, je me dis que cette information peut attendre quelques jours et que, d’ici là, nous pouvons nous joindre à la partie. Mes hommes ont besoin de se défouler un peu, nous n’avons pas touché terre depuis plusieurs semaines et ils n’ont pas pu goûter à la faune locale depuis tout ce temps. Ils vont finir par s’étriper ou, pire encore, par ne plus écouter mes ordres, ce qui m’obligerait à un bain de sang et à recruter un nouvel équipage. Alors, je me dis que nous pouvons joindre l’utile à l’agréable. D’autant que je suis sure que Rodrik aura de quoi nous occuper, le Harloi étant doué pour ce genre de choses. Et pour bien d’autres qui ne concernent cependant en rien mon équipage.

Mon sourire se faisant plus carnassier à mesure que nous nous rapprochons du navire Harloi, c’est d’un pas leste que je saute sur le pont, ignorant les regards des hommes qui se posent sur moi. Je sais quel effet je peux avoir sur eux, que ce soit de la crainte ou du respect. Plus d’un aimerait me mater mais la plupart ont bien trop peur pour tenter leur chance. J’avoue, une part de moi est un peu déçue de voir qu’ils n’osent pas, mais en même temps, cela m’évite d’avoir à tailler dans le vif et à trancher des parties de leur anatomie qui risqueraient de grandement leur manquer. « Capitaine Harloi. Le plaisir est partagé, évidemment. » Les regards se sont faits plus suspicieux autour de nous, surtout à ses propos. Difficile de ne pas réaliser qu’il y a une information qui me manque, mais dans l’immédiat je n’en ai cure, je sais que je l’aurais en main bien assez vite. « Il semblerait que je dois en effet vous ramener à bon port, mais étant aisément corruptible, je suis à peu près sure que tu sauras me trouver de bons arguments pour mes joyeux petits compagnons se joignent aux tiens et que nous puissions rappeler qui est le maitre sur les eaux de Westeros. » Je relève le menton tout en parlant et j’entends certains sifflement approbateurs avant que je ne continue, non sans le toiser de bas en haut. « Il parait qu’il faut s’habiller quand on accueille une Princesse, non ? » Et j’ai un sourire narquois avant de hocher la tête. « Va pour ta cabine. » Je siffle en direction de mes hommes pour qu’ils s’affairent au plus vite et, aux paroles qu’il a en direction de mon second, j’ai même un rire. « Je crois qu’il aimerait quelque chose d’un peu moins usé. Mais ça devrait aussi pouvoir se faire non ? » Peut-être pas dans l’immédiat, j’en suis bien consciente. Et puis, en attendant mieux, ce sera toujours ça de pris.

Je finis par m’installer dans la cabine du Harloi, les jambes posées sur la table alors que je l’observe, la mine curieuse. « Alors, dis-moi. Qu’est-ce que vous foutez dans le coin ? Et qu’est-ce que tu as t’intéressant à me proposer ? » Déjà à boire, dans un premier temps. Quant au reste, je compte sur lui pour me surprendre. En réalité, j’ai un peu envie de m’amuser et d’oublier toutes les responsabilités qui ne manqueront pas de m’attendre à mon retour.

J’ai l’habitude de sentir les regards braqués sur moi. Il faut dire qu’avec mon petit gabarit, je ne paie pas de mine au premier abord et j’ai souvent dû, au cours de mes jeunes années, user de la force pour assoir mon autorité. Je suis une vraie teigne et ça en a surpris plus d’un, mais il fallait au moins cela pour leur survivre et aussi pour arriver les diriger. Le Harloi a fait partie de ces hommes à qui j’ai dû prouver ma valeur mais au moins, une fois fait, il ne m’a plus jamais remise en question. Au contraire même. Alors, forcément, quand je sais que c’est lui qui dirige cette joyeuse équipée, je n’ai guère envie de l’empêcher de faire ce qu’il veut. Encore moins en sentant mes hommes trépigner derrière moi rien qu’à l’idée de s’adonner à quelque rapine.

Mon sourire se fait plus large même si je lève les yeux au ciel en le toisant. Et oui, je suis capable de toiser un homme qui fait bien deux têtes de plus que moi, c’est un de mes talents. « Tu vas finir par geler sur place si tu montes plus au Nord surtout. J’ai peur pour ta petite santé fragile capitaine. » Un clin d’œil alors que je m’installe et que je trinque avec lui sans me faire prier. Des manières d’homme dans un monde d’hommes, voilà aussi ce qui m’a aidé à survivre jusque-là. Et j’ai une capacité à tenir l’alcool qui défie les meilleurs pronostics. Je m’étire largement avant de prendre la missive et un sourire se dessine sur mes lèvres alors qu’il réussit à capter mon intérêt. Le contraire aurait été étonnant. Je l’écoute avec attention, mon regard ancré dans le sien. Après tout, s’il y a un gros butin, je pourrais en effet tout à fait arguer que je suis arrivée trop tard pour l’en empêcher et qu’il valait mieux participer pour en finir au plus vite.

J’ai tout de même un rire à sa proposition. « Pour un peu, j’ai cru que tu me prenais pour une sotte qui n’a jamais mis les pieds sur un boutre. Tu n’oserais pas tout de même non ?  4/10 du butin. Et les réparations à ta charge. Mon second pourra aussi choisir en premier la donzelle qui lui sied. » Mon regard s’attarde un instant sur lui avant que j’ajoute, un rien plus mutine. « Et si tu es sage, tu pourras me baiser de tout ton saoul pour fêter ça. Que tu aies au moins une partenaire intéressante de temps en temps. Promis, cette fois, je ne t’arracherais aucun morceau de chair, sauf si tu le demandes. En plus de l’attente que tu sauras rendre agréable, je n’en doute pas. » Tout en parlant, j’ai repris une position assise normale et j’ai posé ma main sur sa cuisse, avant de m’adosser de nouveau dans mon siège et de boire quelques gorgées. « Notre Roi semble en effet vouloir calmer le jeu. Je ne sais pas s’il a peur des représailles ou s’il songe à quelque chose de plus… audacieux. Mais je me vois mal dire à mes hommes de stopper toute incursion sans avoir une carotte à leur tendre. Ils risqueraient, tout comme vous, de déprimer et leurs femmes m’en voudront si vous n’êtes plus capables de les honorer, ce serait dommage. » Quant au fait qu’ils finiraient par s’entretuer, à dire vrai, je n’en ai pas le moindre doute. Les fer-nés sont des sauvages, nous n’avons en rien usurpé notre réputation. « Je ne ferais rien pour arrêter ton plan et j’y participerais avec plaisir. Si nos négociations se passent comme je l’entends, évidemment. » Je croise les bras alors que je l’observe avec attention, attendant avec un certain amusement la suite de notre discussion.

Rodrik a toujours été du genre à jouer avec les limites. Et à les franchir allègrement, sans se soucier des incidences. Comme la plupart des fer-nés que j’ai appris à respecter depuis toutes ces années. Je peux entendre que bien des populations nous craignent et nous prennent pour des sauvages. Lorsque l’on voit des hommes comme le Harloi et son équipage, c’est bien ce qu’ils sont. Et, en l’état, c’est ce qui à mon sens fait d’eux des vrais hommes. Pas comme ces couards qui se cachent derrière un vernis de civilisation pour faire encore pire que nous. J’inspire longuement, alors que je sens le vent du large fouetter mon visage, sensation plus qu’enivrante à mon goût, avant de lever les yeux au ciel à sa répartie. « Ne présume pas trop de ton effet sur moi, tu risquerais d’être déçu. Et de passer pour un crétin aux yeux de tes hommes. Il me faut bien plus que quelques morceaux de chair à l’air libre pour m’émoustiller, contrairement à toi. » Quelques rires ponctuent nos échanges, alors que tout le monde est bien conscient qu’il y a un autre enjeu derrière ces petites provocations.

Ce que je comprends à mesure qu’il m’explique la suite des réjouissances. Je ne peux pas tourner les talons en l’état. Ce serait aller contre les ordres de mon paternel qui m’a demandé de calmer le jeu et en plus, je n’aurais rien à y gagner. Alors, autant me joindre à la partie. Mes hommes pourront se défouler un peu et ceux du Harloi seront plus enclins à rentrer à bon port une fois les marchands dépouillés, égorgés et leurs passagères probablement grosses de petits fer-nés. J’ai un sourire narquois quand je le vois réfléchir à ma proposition. « Evidemment qu’elle l’est. » J’ai beau ne pas me comporter comme une Princesse, je sais qu’ils sont nombreux à rêver de me passer dessus. Et même si Rodrik et moi nous sommes déjà amusés, là, il sait qu’il pourra vraiment me baiser de tout son soul. Ce qui, en soit, n’est pas un problème pour moi. J’ai appris depuis longtemps que les hommes ne pensent qu’à ça ou peu s’en faut. Et je sais en jouer, mon corps n’étant qu’un instrument comme un autre. Et puis, si je peux en tirer un peu de plaisir, ma foi, autant en profiter.

Je bois quelques gorgées de ma chope avant de hocher la tête. « Va pour les réparations à notre charge. J’expliquerais à mes hommes que tu fais dans ton froc à l’idée de ne pas l’emporter et que tu ne veux pas trop t’engager là-dessus, ce qu’ils entendront parfaitement. » Je me tapote le nez, faussement songeuse. « Ou que tu penses qu’ils sont plus mauvais que tes hommes à toi et que nos réparations coûteront plus cher. Je dois y réfléchir. Quant au reste… » Je lève un sourcil, mon sourire se faisant plus large. « J’attends de voir prétentieux. » Et, comme je le supposais, je lui fais déjà de l’effet. De toute façon, j’avais déjà ma petite idée de la façon dont nous allions sceller notre accord et, à voir son état, j’ai un sourire satisfait. Même si je continue de parler de mon royal paternel, dubitative. « Je ne suis pas sûre que le Roi comprenne. Il a quelque chose derrière la tête et il ne se nous laissera pas nous contenter de piller les côtes comme ça, sans conséquences. Quant à mes demandes, elles n’étaient en rien surdimensionnées et tes hommes n’attendent que cela. De m’entendre hurler. Si je ne le fais pas, tu passeras pour quoi au fait ? »  J’incline la tête dans sa direction quand il me ressert, non sans jeter un autre regard à son pantalon, avant de reprendre, comme si de rien était. « L’Ouest est riche, ce serait une cible de choix. Mais il n’y a pas assez de côtes à mon goût. Dorne par contre… » Je le fixe un instant quand il se penche vers moi avant de glisser une main sur sa nuque pour l’embrasser, mordant sa lèvre au sang avant de le relâcher aussi sec. « Il y a des côtes. De quoi piller. Et de quoi ramener un paquet de femmes-sel. Tu aurais une préférence ? »

Pour un peu, la situation m’amuserait. Non, si je devais être honnête avec moi-même, je ne peux m’empêcher d’apprécier nos échanges. Et encore plus l’idée d’une attaque, du butin que nous allons récupérer et de pouvoir jouer au pirate. Ce que je ne peux plus faire autant à ma guise depuis que je suis Commandante de la flotte de fer. De par les responsabilités que mon père souhaite me voir porter, mais aussi de par cet avenir qu’il nous réserve et qui ne m’enchante guère. Alors, si l’espace de quelques heures, quelques jours, je peux redevenir celle que j’ai toujours été, je ne vais pas m’en plaindre. Et visiblement, mes hommes non plus.

J’ai un mince sourire quand je vois que l’accord est conclu plus vite que je ne l’aurais cru. Décidément, les hommes ne pensent vraiment qu’avec leur attribut. Me faire baiser pour obtenir une plus grosse part du butin n’est pas vraiment un souci, d’autant que, si ma mémoire est bonne, Rodrik sait y faire. Sans compter qu’il devra bien s’appliquer s’il ne veut pas que je répande des rumeurs le concernant auprès de l’équipage. La pensée m’amuse alors que je ne souffle, levant les yeux au ciel. « Bien, je crois qu’il va falloir miser à ce propos donc. Savoir qui de mes hommes ou des tiens s’en sortiront le mieux. » Je le fixe un instant, faussement songeuse. « Et je te parie que je trouverais un moyen de te faire payer mes réparations. » J’ai nombre d’idées pour le faire, qui devraient toutes fonctionner. « Sans compter qu’un peu de compétition ne leur fera pas de mal. Histoire qu’ils puissent montrer qu’ils ont la plus grosse sans devoir démolir une taverne ou que sais-je encore. J’ai dû payer grassement l’aubergiste la dernière fois. Ils avaient réussi à mettre le feu au lieu. Au sens propre du terme. » Je secoue la tête, alors que dans un coin de mon esprit, je prends note de prévenir mon second qu’il va nous falloir être les meilleurs sur ce coup-là.

Et, à sa répartie, je rétorque, le plus sérieusement du monde. « J’escomptais bien le fait que tu seras à ma disposition, surtout pour cela. » Remarquez, ce serait aussi une bonne source de distraction durant l’assaut. Mon sourire réapparait alors que le jeu continue entre nous, jusqu’à ce que tout soit finalisé. Enfin, je gage que je saurais le faire plier à ma façon. Ou, au pire, essayer sera tout aussi distrayant. Je balaie l’évocation du paternel d’un revers de la main. J’ai envie de m’amuser. J’ai envie de sang, de fer, de sel. J’ai envie de montrer que je suis toujours une fer-née et quelles sont nos préoccupations premières. Et je me fends d’un rire à ses propos. « Te demander de te dépêcher de finir parce que j’ai mieux à faire fait partie des moments où je ne sais pas me taire ? Je ne me souviens plus trop si c’était avec toi ou un autre. » Je me tapote le nez avant d’être la première à sceller notre accord d’un baiser emporté. « Pourtant, je croyais que vous aimiez les vierges effarouchées ? Et ta Princesse Dornienne n’a rien de mieux à faire de ses dix doigts qu’être belle. Moi je suis bien plus que ça et tu le sais. »