Part 1 : How does it feel to kill someone?
Je me rappelle d'une question que je posais toujours à mon père: "Qu'est ce que ça fait de tuer quelqu'un?".
A Crakehall, cette question, on se la pose très tôt dans la vie. Ce n'est pas un choix, c'est une nécessité.
Crakehall, c'est la frontière sud-ouest du Royaume du Roc, un morceau de territoire entre mer et forêt. Je pourrais poétiquement le décrire comme bucolique et propice aux vagabondage mais en vérité...c'est une boucherie. Bien évidemment, pas avec des armées de plusieurs milliers d'hommes, juste des accrochages mineurs, mais à chaque fois sanglants, et ce, depuis des générations.
Les raids et incursions bieffoises sont une attraction de nos villages, comme une maladie qui revient périodiquement, obligeant mon père, lord Seymon Crakehall, à perpétuer une alliance tacite avec lord Swyft, notre voisin, pour repousser nos opposants de l'autre côté de la frontière, venant des fiefs du Vieux Rouvre et de Rougelac.
Il faisait terriblement chaud ce jour là, la pluie du matin avait laissé place à une humidité lourde et poisseuse dans l'air et nous n'avions trouvé la fraîcheur du couvert de la forêt que tardivement. Sur mon jeune poulain, je suis mon père comme une ombre. A huit ans, il refuse de me laisser courir la campagne n'importe où. J'ai beau avoir été initié dès la plus tendre enfance au maniement des armes et au combat, mon inexpérience et mon immaturité font de moi l'écervelé qui mettrait sa vie en jeu pour une once de gloire inutile.
Je suis frappé par ces hommes, pas une armée, pas véritablement, tout au plus une compagnie de cent cinquante épéistes, archers et cavaliers qui boivent les paroles de mon seigneur et père. Leurs yeux brillent d'un respect admiratif, une dévotion qui irait jusqu'à la mort. Mon père est un homme austère, aux manières rudes et peu amènes mais il a ce charisme qui amènent ses hommes à le respecter. Son génie tactique et son talent au combat ont fait le reste. Il les motive, leur rappelle le but de notre expédition ; débusquer et annihiler un groupe de soldat du Vieux Rouvre qui ont fait un raid sur un village au sud de Crakehall. Mon seigneur de père veut renvoyer les têtes à ses ennemis héréditaires, il vocifère des mots durs, la colère creusant son visage. Tous sont résolus. Nous prenons juste le temps d'abreuver nos montures dans une mare en lisière de forêt avant de nous lancer dans la traque. La lice est devant nous, repérant mille et une traces du passage de l'envahisseur bieffois. Ces derniers n'ont pas beaucoup d'avance, mon père fait forcer l'allure tout en se refusant à se précipiter, il ne veut pas fatiguer sa force de frappe avant le moment qu'il aura lui-même choisi.
Ser Robert Hill s'approche, il vient de recevoir le rapport des éclaireurs ;
Seigneur, nos éclaireurs ont repéré les pillards. Ils se terrent dans une clairière près à une demi-heure au sud. Une cinquantaine d'hommes, comme prévu.Mon père reste impassible, ne laissant rien transparaître sur son visage fermé. Il ordonne à ses troupes de se déployer, l'ennemi sera bientôt de l'autre côté de la frontière mais la forêt est dense en cette saison et l'avancée est rendue difficile par les fourrés dans lesquels se terrent les célèbres sangliers de Crakehall. Le mouvement est audacieux, peut être même téméraire mais là est la nature de mon père auquel je ressemble tellement dit-on.
Je me souviens de la fin de cette traque, ma première chasse, comme étant un mélange d'excitation et de plaisir pervers.
Evidemment, je ne pris pas part à la boucherie que ce fut. Les proches de mon père me racontèrent plus tard que ce combat fut une de leurs plus belles victoires.
Depuis, j'en ai participé à des escarmouches sanglantes, des batailles de plus ou moins grande envergure. Mais ce que je retiens de cette traque, c'est que c'est ce jour là que j'ai tué pour la première fois. Confiné à l'arrière garde, conformément aux instructions de mon père, je n'étais pas sensé me retrouver pris dans les combats. L'étau venait de se refermer et mon père, de mener la charge, tête baissée avec la férocité caractéristique de notre nom. Par un quelconque miracle, une petite escouade de Bieffois avait réussi à se faufiler entre les lignes de fantassins pour s'extirper de la nasse et attaquer le flanc de notre arrière garde.
Je mentirai si je disais que je m'étais montré brave à ce moment là. A huit ans, que peut-on espérer montrer face à des adultes déterminés et entraînés? Pourtant, inconsciemment, j'ai dégainé le poignard que je portais à ma ceinture.
Mon premier et unique adversaire n'était pas un adulte, ni même un soldat blessé, mais un écuyer, qui devait avoir trois ou quatre ans en plus que moi, mais la différence d'âge importait peu, tant ma constitution Crakehall me donnait un avantage sur cet apprenti chevalier provenant certainement d'une noble famille du Bief mais qui restera à jamais anonyme à mes yeux. Je ne dirai pas non plus que notre combat fut un exemple de fluidité ou de maîtrise, loin de là. Les quelques coups de couteau que nous avons tenté d'échanger se sont rapidement mués en coups de poings et la beauté artistique d'un combat à mort, en pâle reproduction d'une rixe de taverne. Et sur ce terrain là, j'avais de la prestance. Mon père avait toujours été dur avec moi, m'obligeant à apprendre le combat avec les armes, mais également sans, parce que la fureur ne devait pas dépendre que de l'acier, nos poings et nos pieds en étaient tout autant les armes. Je sentais l'odeur du sang, j'entendais les craquements de son nez, le goût du sang dans ma bouche. Avec le recul, je pense que j'aurai pu perdre ce combat, heureusement, j'ai été le premier à poser le regard sur le poignard gisant à quelques dizaines de centimètres de sa main. J'ai tendu les doigts, effleuré la garde et à cet instant, les gestes cent fois répétés ont payés. Le fils de l'acier a aisément trouvé le cou sans protection de mon opposant.
Le sang était tiède, la sueur maculait mon front et je sentais chaque battement de mon coeur dans mes tempes. Alors que ses yeux bleus devenaient vitreux, le plaisir pervers qu'on ressent quand on croit être puissant m'envahit pour la première fois. Oh oui, que j'ai aimé cet instant...j'avais ma réponse désormais...
Je n'avais pas remarqué qu'autour de nous, les combats avaient cessé et que mon père venait vers moi. Je relevai la tête pour le voir, l'air sévère, devenir le ciel au dessus de ma tête.
Alors fils...qu'est ce que ça fait de tuer quelqu'un? C'est à cet instant là que mon père lut dans mon regard que j'étais devenu une arme , une arme qu'il pourrait utiliser pour un objectif plus grand, pour l'avenir grandiose qu'il comptait offrir à ma soeur aînée, Jordane. Les deux années qui suivirent furent en réalité une sorte...d'endoctrinement, un sermon inlassable sur le grand destin de ma soeur et la grandeur qu'elle apporterait à notre famille.
Ah, et autre détail sans importance, c'est à ce moment là que j'ai compris que mon père...n'avait plus besoin de moi.
Part 2 : The object of war is not to die for his country, but to make the enemy die for his
Vous savez ce qu'on ressent en premier lorsque l'on devient chevalier?
La réponse est rien. Pas d'éclair de génie, pas le moindre frisson le long de la colonne vertébrale, rien...juste ces foutues d'huiles qui vous dégueulassent le front pendant qu'on vous marmonne des sermons avec les sept, et bla, et bla, et bla.
Quoiqu'il en soit, c'est au cours d'une superbe journée d'été, au coeur même de Castamere, que j'ai été adoubé chevalier, et j'étais heureux. Je venais d'avoir dix huit ans et j'étais entouré de mes amis, Damian Reyne, héritier des lieux et Alton Tarbeck, fils cadet de Tarbeck Hall. A nous trois, nous venions de passer huit années de pure folie.
J'avais à peine dix ans lorsque mon père a décidé de faire de moi l'écuyer de lord Reynard Reyne. C'était un homme dur, austère, véhiculant les véritables valeurs de la chevalerie et une rigueur toute militaire. Il avait une technique et un sens tactique admirable et, ces qualités, couplées à ma force de Crakehall, firent de moi un combattant exceptionnel. Certains trouveront présomptueux de ma part de me qualifier de la sorte, surtout que je n'ai jamais finalement participé qu'à des tournois mineurs, mais la raison en est simple. Un homme de guerre se forme sur le champ de bataille, dans la poussière des plaines et les cris des mourants. De véritables guerriers comme le roi Loren Lannister, époux de ma soeur ou encore le roi du Nord Torrhen Stark, n'ont pas été façonnés dans les lices.
J'ai bien entendu revu ma famille durant mes années à Castamere. Artur était devenu un freluquet que je ne savais pas saquer, la pure incarnation de tout ce que je haïssais. Mon père vénérait toujours Jordane comme s'il s'agissait d'une déesse et ma mère, cette femme admirable, regardait tout cela d'un air lointain, de la peine dans le regard.
Durant mon apprentissage à Castamere, j'avais beaucoup correspondu avec ma soeur. J'avais beau être relégué au rang d'utilitaire par mon père, j'adorais ma soeur. Nous étions si complémentaire, que nous nous comprenions quasi sans parler. Et je pense sincèrement que c'est ce qui me permit de ne pas devenir fou face aux ambitions de mon seigneur paternel. Un fief ne lui suffisait plus, il voulait un royaume. Belle comme un diamant, Jordane était son arme et il venait de marquer un point en la mariant à Loren Lannister, la plus puissante famille de l'Ouest s'était unie avec le sanglier furieux Crakehall. De leur union étaient né trois enfants, trois pépites qui mèneraient notre sang jusque sur le trône. Mon père en jubilait, je le voyais dans ses yeux. N'étais-je pas sensé avoir un peu de prestige? J'étais son héritier et pourtant, à ses yeux, je n'étais voué qu'à devenir l'ombre de ma soeur et reine adorée.
Quand je suis devenu chevalier, "Ser Rickard Crakehall"...ça sonne bien à mes oreilles, je suis rentré à Crakehall. Le monde commençait à s'agiter, le Conflans s'embrasait doucement sous le joug d'Harren et je brûlais de faire mes preuves. Contre l'avis de mon père, j'ai réuni des hommes et suis remontés en direction de Tarbeck Hall.
Alton me rejoignit alors et ensemble, nous sommes remontés jusqu'à Castamere. Damian avait eu le commandement d'une force Reyne et nous sommes partis, je l'avoue, sans l'assentiment de notre roi, parcourir la frontière sud du Roc pour avoir notre part de carnages. L'heure de la vengeance avait sonné.
Je mentirai en disant que nous avons toujours été crédible dans notre rôle...comment pourrait-il en être autrement quand, sensé joindre les forces Lydden, on vous retrouvait à faire la tournée des tavernes et bordels de Port Lannis? A un demi-pays au Nord...
Attention, je dis pas que nous avons perdu notre temps à vadrouiller à gauche et à droite. Nous avons été à Rougelac, nous avons livré bataille non loin de Boisdoré, nous comportant comme des mercenaires sans maîtres, contre le Bief, ennemis héréditaires de mon sang, mais féroces guerriers. Notre groupe n'était pas très impressionnant, aussi sommes nous passé un peu inaperçu dans cette vendetta et heureusement parce que je doute que tous nos actes aient été des actes de pure chevalerie, mais tout était permis en temps de représailles.
Quand enfin nous fîmes notre retour, nous n'étions auréolé que de notre gloire personnelle mais nous avions grandi. Nous avions tous vu assez d'horreurs pour savoir ce que cela faisait de voir la mort en face. C'est aussi au court d'un de ces combats que j'ai reçu le coup de hache qui m'a laissé une superbe cicatrice en travers du dos.
Je l'ignorais mais pendant que je guerroyais de l'autre côté de la frontière, ma soeur ourdissait ses plans et manoeuvres diplomatiques, envisageant bien des tactiques qui prendraient racines par la suite.
Me sentant plus proche de Castamere que de Crakehall, je suis rentré chez Lord Reynard. Non pas pour celui qui avait fait de moi un chevalier, mais pour celle qui avait fait battre mon coeur durant mes années au service de son père, Jelena, la fille cadette du seigneur des lieux.
Elle n'avait pas la beauté étourdissante de Jordane ou d'une Sharra Arryn, mais avait pour moi, un charme qui surpassait tout. C'était un côté de moi que je n'aimais pas, j'étais trop proche du caractère de mon père pour m'exprimer aisément sur ce genre de sentiments.
Nous étions jeunes et j'étais au service de son père depuis quatre ans environ quand nous avons franchi le pas pour la première fois.
Non, je vous vois venir. Non, je ne décrirai pas ce qu'il s'est passé ce jour là, mais je me contenterai de dire que ça a été...transcendant.
Je ne me rendais pas compte qu'elle mettait en péril le beau mariage que son père espérait pour elle, parce qu'à mes yeux, ses magnifiques yeux noisettes seraient ceux qui resteraient avec moi jusqu'à la fin de ma vie.
Rien ne pouvait justifier cette passion dévorante et le vide que laissait dans mon coeur chacune de ses absences. Je savais que mon père n'approuverait peut être pas cette union. Je pense qu'il devait commencer à regretter mon manque d'application à servir ma soeur, mais moi, je voyais en ce mariage avec Jelena, une occasion en or d'unir la seconde famille la plus puissante de l'Ouest, les Reyne, avec les Crakehall. Si j'épousais la soeur de mon meilleur ami, notre alliance serait inébranlable. Les Crakehall deviendraient un pivot autour des Reyne et des Lannister, unifiant un axe d'une puissance sans commune mesure dans l'Ouest et avec les Swyft, alliés de mon père, et les Tarbeck, alliés de lord Reynard, l'Ouest aurait eu la capacité de mobiliser une force démesurée pour frapper n'importe quel ennemi.
Mais au-delà de la nécessité de convaincre mon père, j'étais devenu, par le sang, une arme à double tranchant pour ma royale soeur. J'étais une alliance potentielle tout autant qu'une plaie à gérer tant mes frasques, en compagnie de Damian et Alton, jetaient une ombre sur son oeuvre.
J'ignore ce que pouvais penser le roi Loren des actes, pas toujours reluisants, de son beau-frère, mais toujours est-il que je reste convaincu que ma soeur, elle, si elle les apprenait, les accueillait certainement les lèvres serrées et les phalanges blanchies de colère.
Mon père réclamait mon retour, certes, mais qui aurait tenu compte des volontés d'un père qui voulait m'utiliser comme garde du corps pour sa favorite? Je préférais vivre une vie de chevalier-lige au service de celui qui avait fait de moi un chevalier, un vrai.
Ce train de vie s'est prolongé durant deux ans, jusqu'au jour où, une simple camériste, a tout ruiné.
C'est étrange de se rendre compte à quel point les gens du commun peuvent être de vraies nuisances...
Encore aujourd'hui, je ne peux que me demander pourquoi, ce matin là, elle est entrée si tôt dans la chambre de Jelena, et pourquoi, sa première réaction a été de nous dénoncer auprès de son seigneur et maître.
Quel terme ont-ils utilisé ce jour là?...Humm...
déshonorer, voilà, déshonorer. Je ne pensais pas un jour l'entendre aussi souvent dans un même discours. La colère de lord Reynard, je ne l'oublierai jamais, portant dans ma chair chacun des mots qu'il m'asséna de sa voix aussi coupante qu'une lame. A l'écouter, j'avais ruiné la vie de sa fille, souillé l'honneur des Reyne, et celui des Crakehall au passage.
Mon père, fidèle à lui-même, ne fut d'aucune aide. A dire vrai, je ne l'espérait pas vraiment de toute façon.
La situation exigea que j'agisse immédiatement, quand les mots "guerre" et "Crakehall" revinrent dans la même phrase. Je ne pouvais laisser la situation déraper plus loin. Sans réfléchir, je promis la seule chose que je n'étais pas peut être pas réellement en droit de promettre ; épouser sa fille.
Il faut savoir que je déteste mendier, et c'est exactement ce que j'avais l'impression de faire, même si je jubilais déjà à l'idée de voir mon père rager de se retrouver sans voix au chapitre. Ne m'avait-il pas dit de gérer la situation? et bien il allait en être pour ses frais.
Quant à Reynard, quel choix avait-il encore, si ce n'était d'accepter? Damian m'aida beaucoup ce jour là, plaidant notre cause en avançant l'ancienneté de ma relation avec Jelena. Le feu était maîtrisé...pour l'instant. Mais entre nous, je savais qu'il n'attendrait pas mon échec pour trouver une alternative pour marier sa fille cadette.
Si ça n'avait tenu qu'à moi, j'aurais fui avec Jelena, trouvé le premier septon disponible et l'aurait épousée sur le champ. Je venais de me passer la corde au cou. Si d'aventures mon père ou ma soeur refusaient cette union, la guerre entre Crakehall et Castamere risquait d'être plus qu'une perspective.
Je connaissais assez ma soeur pour imaginer sa fureur si elle devait apprendre que la moitié de son royaume se retrouverait à feu et à sang à cause de son frère alors qu'elle luttait pour en assurer l'essor.
Part 3 : From light to shadow
Redescendre vers Crakehall, pour jouer les derniers coups d'une partie dans laquelle je m'étais mis tout seul en difficulté, serait la prochaine étape. Et si j'évitai soigneusement de m'arrêter à Castral Roc, je ne pus m'empêcher de faire halte à Port-Lannis pour faire le point.
Oui bon, vous avez raison, je retardais volontairement ma descente de la côte dans ce qui m'apparaissait être une descente vers les enfers.
Epée à la main, il est aisé d'affronter l'ennemi et le tailler en pièces. Mais lorsque l'on doit affronter son propre esprit, aucune lame ne semble assez résistante pour être efficace.
Et pour me faire boire le calice jusqu'à la lie, il ne fallait plus qu'une chose ; une missive de ma mère.
Katryn Crakehall, née Lefford, m'écrivait rarement, et quand elle le faisait, c'était rarement pour de bonnes nouvelles.
Ma soeur, Ilithia, née deux ans auparavant, était tombée gravement malade. Sa constitution maladive la rendait fragile, ça je le savais, mais la fin de sa lettre me retourna l'estomac; Crakehall était sous le siège d'un énième raid bieffois, d'une violence extrême. Apparemment, les hommes du Rouvre avaient décidé de marquer le coup en donnant un assaut particulièrement déterminé. Malheureusement, notre mestre avait quitté la ville auparavant et n'avait pu la réintégrer à temps. Tant que le Bief assiégerait notre fief, ma soeur ne pourrait recevoir de soins. Ma mère me suppliait de revenir, n'osant se tourner directement vers Jordane de peur d'impliquer deux royaumes dans une guerre ouverte.
J'ai toujours été bon cavalier, mais je peux vous assurer que je n'ai jamais eu aussi mal au cul que lors de cette chevauchée désespérée pour arriver à temps pour sauver ma soeur.
Je me voyais arriver comme dans les histoires, dévaster les rangs ennemis, sauver ma famille et me poser en véritable héros. Et comme dans les histoires, je suis arrivé...mais trop tard.
Au moment d'engager les forces ennemies pour un ènième raid à repousser, ma soeur venait d'expirer, le mestre n'ayant pas pu rejoindre à temps son chevet. Le temps perdu à Port-Lannis m'avait coûté ma jeune soeur et tous les mots du monde ne pouvaient m'ôter ce poids de mes épaules.
Certes, rien ne pouvait garantir que la présence d'un mestre aurait pu la sauver, mais je ne pouvais m'empêcher de penser que si j'avais répondu immédiatement à l'appel de mon père, peut être aurait-elle eu une chance.
Ma rage, ma témérité, et mon inconscience ne connurent aucune limite ce jour là. Jusqu'au dernier, je les aurai jusqu'au dernier. Noyé dans un complexe mélange de fureur et de tristesse, je me lançai dans une expédition punitive meurtrière. Mon père refusait de répliquer, trop hésitant à risquer un conflit entre le Bief et le Roc. Mais moi, convaincu que Mern IX Gardener était un des souverains les plus pacifiques de Westeros, jamais il ne réagirait pour si peu, aussi, pris-je risque d'une réponse démesurée.
Est ce que j'ai réussi à faire payer les assassins de ma petite soeur? Oui, et même plus, j'ai à nouveau, purement et simplement recouvert de sang la frontière sud de Crakehall. Une ombre qui fondait avec ses hommes sur des villages endormis et faisait payer le sang versé. Et ce, jusqu'à ce que mon père m'envoie son fidèle ser Robert Hill pour me rappeller.
Etrangement, alors que j'étais encore dans un état second, j'obéis. Je n'avais plus le choix, j'avais été trop loin. J'avais cru pouvoir vivre ma vie librement mais au final, on en revenait au même point.
J'étais enfermé, enfermé dans une prison dont j'avais construit moi-même une partie des barreaux.
Mon père ne me dit rien à mon retour, secouant la tête de dépit et moi-même, je le méprisai. Ma chère mère ne fut pas non plus du plus grand des réconforts, elle qui venait de perdre sa plus jeune enfant.
Les funérailles se tinrent par un jour de pluie, dans une ambiance lourde et humide. Et c'est ce jour là, à l'issue de cette longue procession vers le caveau familial que mon père me convoqua dans sa salle d'audience.
Je ne pense pas me souvenir d'avoir déjà connu le grand hall de Crakehall aussi froid qu'en ce jour là. Nous étions seuls. Pour être honnête, je m'attendais à des paroles vigoureuses, peut être colériques, rancunières ou pleines de ressentiment. Au lieu de cela, il ne m'adressa qu'une seule phrase, une phrase qu"il voulut sentencieuse, sans appel.
Tu as assez joué au mariole. Ta soeur t'a mandé à Castral Roc. Tu pars demain...peu m'importe ce que tu fais avec ta Reyne...tâche au moins de ne pas tout foirer avec les Lannister...si c'est pas trop te demander. Ah mon père, mon cher et seigneurial père, comment aurais-je pu me lasser de toi, de tes surprises permanentes et de ton mépris que tu avais appris à distiller soigneusement dans des phrases anodines? Ne pouvais-tu pas me hurler dessus? me haïr ou me frapper? Fallait-il vraiment que tu paraisses si déçu?
Mais si je t'ai déçu, cher père, sache que mon mépris à ton égard n'en est pas moins développé. Je ne suis pas un chien qui tremble devant la main de son maître.
Mon père ne m'avait pas renié mais n'attendait plus grand chose de ma part pour l'instant, l'homme que je considérais comme mon second père chercherait certainement à marier sa fille, anticipant un échec, Damian se trouvait loin, le plus éloigné possible d'une éventuelle guerre. J'aurais pu remonter à toute berzingue vers Castamere et prendre la fuite avec Jelena. Le grand Nord ou les marches de Dorne, peu m'importait. Pourquoi pas jusqu'à Essos quitte à faire, même si des troubles paraissaient ravager les cités libres.
Mais fuir, signifierait également refuser de répondre à une injonction royale. C'était une chose de faire le guignol avec des seigneurs et désobéir à son père, s'en était une autre de désobéir à son roi et à sa reine de soeur. Elle était en quelque sorte la seule à ne pas m'avoir
encore signifié son mépris...on s'était toujours bien entendu, elle était quasi tout ce qui me restait. Un mot de sa part et l'horizon pourrait s'éclaircir...mais si elle pouvait tout sauver, elle avait aussi le pouvoir de tout détruire et les dieux savaient comme ma soeur avait un talent inné pour briser les rêves.
Ainsi, j'abandonnai la barbe, et fit mon entrée à Castral Roc avec un petit contingent Crakehall. Un endroit fantastique, vraiment, et je m'y sentis rapidement à mon aise.
Avec le temps, mon caractère a changé, j'avais appris à dominer ma colère, à brider ma témérité. Je me faisais discret, attendant mon heure, acceptant même de correspondre avec l'abominable frangin que je ne pouvais plus supporter depuis qu'il avait entamé sa carrière de mestre pour servir les intérêts de ma soeur.
Le monde autour de nous s'agitait, les guerres semblaient ne jamais pouvoir prendre fin, les luttes et les discordes naissaient et mourraient sans que je ne fasse autre chose que de servir d'ombre à Jordane. Mais si une chose n'avait pas changé, c'était la haine que je ressentais envers le Bief, que je considérais comme responsable de la mort tragique de ma petite soeur. Ils avaient toujours été nos ennemis héréditaires mais cette fois là, ils avaient franchis une frontière que je ne pourrais jamais leur pardonner.
Je la conseillais, comme elle le désirait, mais je m'opposais fermement à toutes les idées qui impliquaient un rapprochement avec nos voisins du sud, quand bien même je devais reconnaître que Mern Gardener n'était pas dénué de toutes qualités. Mais il ne fallait pas m'en demander de trop non plus.
Bien que pleine de "rebondissements mondains", ma vie à Castral Roc s'écoulait relativement tranquillement, loin du sang que j'avais eu l'habitude de voir couler. L'Ouest a cette chance d'être dirigé par des personnes éclairées. Nous prospérions pendant que les autres s'épuisaient et se déchiraient...excellent.
A Goëville, je m'y rendis, bien évidemment, avec une garnison Crakehall pour rappeler les origines de la reine de l'Ouest mais il est vrai que je n'en vis pas grand chose. Le tournoi, je n'y participai pas. J'étais l'Ombre de la Lionne, et le champ de bataille m'avait formé, pas la lice. Avec mes gars, nous avons surtout côtoyés les hommes d'armes, les chevaliers et les soldats du Val. Je n'étais auprès de ma soeur que lorsqu'elle l'estimait nécessaire, c'est à dire quand une armée de gardes Lannister ne lui rôdait pas autour.
Et quand plus tard, ma soeur partit vers le Nord pour marier son fils, Lyman, par conséquent, mon neveu, j'étais resté dans l'Ouest. Tant de choses étaient à faire et...bon d'accord, j'avais encore battu la campagne mais je ne pense pas que ma soeur avait besoin de moi pour sceller définitivement l'alliance qu'elle avait dessiné avec Torrhen Stark.
Au moins, je me réjouissais de voir se dessiner une alliance avec un homme tel que lui. C'était un roi bourré de charisme, capable et endurci, un exemple pour tous les chevaliers nordiens. Qu'il soit " de notre côté" ne pouvait être qu'une bonne chose.
La suite de l'histoire est à écrire. L'avenir dira si mon nom restera dans l'histoire et si oui, restera à déterminer si ce sera en tant que héros ou calamité. Après tout, ce sont les détails qui font et défont les héros de notre temps...