L'Empereur était parti pour la guerre, et pour la vengeance. Déterminé à combattre les germes empoisonnés de la peur et de la sédition, ses armées marchaient à vive allure pour sécuriser les rives de la Camarde, le fleuve descendant des monts et reliefs escarpés du cœur de l'Orage. Il y avait des ponts à prendre, pour protéger tout le flanc des opérations menées dans le pays. La troupe était plus ténue que d'ordinaire ; il semblait à tous que l'Empereur dispersait ses forces et beaucoup se doutaient aussi que deux ans de terribles batailles à grande échelle avaient miné les forces vives des nations constituant l'Empire. Les cohortes d'éclopés et de souffrants continuaient de revenir dans chaque ville et village des côtes du Détroit, de l'OeilDieu, ou du Nord, symptômes des appétits de la guerre qui avalaient les ressources sous toutes leurs formes.


Cette fois, cette campagne semblait incarner l'espoir que tout se termine, dans un sens ou dans l'autre. Il y avait sur le continent bien d'autres expéditions, vendetta et violents combats, mais le couple impérial sur le terrain face au Roi Manfred et à son épouse Eren, la dernière des Hoare, résonnait dans l'esprit de tous comme la perspective que les plus graves rancunes ayant mené à la guerre se soldent tôt ou tard dans la plaine de Lestival ou dans les rocailleurs contreforts de la Griffonnière.


L'Empire prit possession sans coup férir d'une succession de villages et de petits bourgs vers l'amont de la Camarde, et l'endroit n'était pas défendu si ce n'est de milices et de garde-chasses des maisons ayant récemment changé de camp dans la région. De combats il n'y eu, car la région avait été vidée par deux ans de campagnes, de mobilisations et de rapines. Les hommes encore valides avaient la fâcheuse tendance à disparaître sitôt que les troupes impériales remontaient chemins et sentiers, étendards du Loup et du Dragon en tête de colonne. A distance, les troupes bieffoises, ayant harcelé les impériales dans la plaine des Bronzes, tentaient de recoller... Mais sans intervention de l'Ost Royal de Lestival, où le Roi s'était retranché en attendant de voir les mouvements de l'Empire, les patrouilles du Bief ne pouvaient engager aucune attaque sérieuse...


Alors, les colonnes impériales sillonnèrent et serpentèrent jusqu'à étreindre Nids de Corbeaux, abordée au crépuscule. L'armée montait le camp alors que l'obscurité laissait la pénombre nimber de peur les cauchemars des défenseurs, à peine quelques poignées d'hommes trop jeunes ou trop vieux, dont certains avaient porté jusqu'à récemment encore l'épée pour la Reine de l'Orage, sous le tabard Morrigen. Les murs se garnirent d'hommes en armes, quelques archers et lanciers de la milice locale... Les impériaux allumèrent des centaines de feux et plus encore de torches, en lisière de forêt bordant le domaine, et une délégation sous la surveillance de l'Etat-Major impérial -donc de l'Empereur- aborda la porte principale, au Corps de Garde nord. Les négociations furent brèves ; les cavaliers impériaux, casqués de fer jusqu'au protège-nuque et arborant un plumet noir sur leur couvre-chef, n'avaient été envoyés qu'avec deux mots ; « Rendez-vous ».


Les minutes passèrent alors que le ciel renvoyait des nuances jaunes-oranges sur l'horizon où le soleil se couchait, et alors que la nuit tombait tout à fait, un bruit oppressant se fit entendre avec régularité, comme le vent qui souffle par bourrasques. Plusieurs défenseurs perdirent casques et bonnets, et les interrogations interpellaient les archers sur les plus hautes des tours. Et puis il y eu un grincement horrible, du genre à crisper tout être normalement constitué, et un grognement rocailleux. Au-dessus de la tour Nord, une immense masse noire s'était accrochée au toit de la tour et avait dû contrôler son assise de ses serres, avant de noyer toute une portion de mur dans un torrent de feu.


Les hommes n'eurent même pas le temps de crier. Par dizaines, ils se jetèrent des créneaux et continuaient de brûler après leur funeste chute. L'armée impériale, alors, s'avança par-devant les sous-bois qui la camouflaient et vers le Corps de Garde, l'Empereur en personne, en armure lourde et entouré de centaines de soldats qui avançaient en silence, leurs yeux renvoyant la lueur des flammes qui consumaient d'abord un mur, et puis une tour, et tout un corps de garde. C'est le moment où l'on se dit que l'enfer doit ressembler à quelque chose comme ça, pour un de ses niveaux ou pour les sept, et c'est le moment où les hommes deviennent des créatures de choix et de convictions, plus que des animaux d'instinct.


Le feu se propage sur les toits alentours et la maigre garnison se disperse en lâchant quelques tirs sur l'ombre du dragon et de sa chevaucheuse aux cheveux d'un blond presque blanc. L'armée impériale attend, dehors, juste hors de portée d'arbalète. Des milliers de lanciers tenant leur hampe de leurs mains gantées de mailles, casque sur la tête.


A l'intérieur, les incendies font rage. Subissant une volée, l'ombre de Meraxès s'attaque à un second corps de garde et crève son toit de tuiles d'ardoises pour dévorer ses défenseurs vivants. Le feu dévore tout, et tout le monde ; on se presse partout pour échapper aux flammes et à plusieurs endroits du mur d'enceinte, des impériaux s'approchent pour hurler, leurs mains en porte-voix. « Rendez-vous ! »


Ils ne se rendent pas. Alors de plusieurs signaux pas flèches enflammées, l'Empereur appelle à lui Meraxès portant son épouse, et couverts de suie, entendent de la bouche même du Vieux Loup qu'il faut détruire les portes. Alors le monstre enfonce littéralement l'huis renforcé de fer forgé, il l'arrache de ses gonds, écarte à coups de queue et de menaces de crocs ceux qui derrière s'apprêtaient à défendre la porte. L'Impératrice pique des deux, Meraxès reprend de la vitesse et prends son envol en battant de ses ailes plus larges qu'un moulin, avant de laisser place nette aux fuyards, aussitôt cueillis par les forces de l'Empereur, qui ne risque pas ses troupes dans le brasier.


Au matin, la population sera envoyée vers Accalmie avec ce qu'ils auront trouvé de réserves et de vivres dans les ruines et environs, sans toucher à l'approvisionnement impérial. Les femmes et les enfants, systématiquement préservés. Les hommes, cela dépendra de leur obédience. Les putains des bordels ouverts aux armées du Bief, traînées et au son du tambour des cohortes Braenaryon, tonsurées et marquées au fer pour signifier à tous leur collusion avec l'envahisseur. Les notables et officiers de troupes Morrigen survivants, crucifiés et abandonnés hurlant aux charognards, défilé des troupes devant les suppliciés.


Le message, limpide ; les traîtres seront punis par le feu et par la croix, et l'ennemi, lui, sera attendu de pied ferme.


Points de l’Empire
+5pts ville mineure


Points du Bief
-5pts ville mineure